Le livre d’Aurélie Boullet, alias Zoé Shepard — Absolument dé-bor-dée ! ou le Paradoxe du fonctionnaire — publié en mars dernier par Albin Michel avec un bandeau accrocheur (« Comment faire 35 heures… en un mois »), lui vaut de découvrir les joies du devoir de réserve. Dans le civil, l’auteure travaille en effet au Conseil régional d’Aquitaine. Après l’avis (rendu le 1 er juillet) du conseil de discipline interne à cette collectivité, elle risque désormais une exclusion pour deux ans de la fonction publique territoriale, avec suspension de salaire. Malgré les précautions prises durant la promotion de l’ouvrage, Zoé/Aurélie a été confondue par un ancien camarade de l'Institut national des études territoriales. Et d’actuels collègues se sont reconnus dans les personnages de « Simplet » de « The Boss » ou encore de « Coconne » (l’avocat que je suis savoure toujours de voir un quidam clamer en justice : « Je suis le « gros connard » de la page 112 » et arriver avec force preuves au dossier….) L’intéressée se défend, un peu paradoxalement, en assurant, d’une part, ne pas avoir spécifiquement visé l’institution qui la nourrit, et, d’autre part, avoir voulu dénoncer des dysfonctionnements plus généraux des administrations françaises. Et son avocate d’affirmer : « Il s'agit aussi de défendre la liberté d'expression et de création littéraire des agents publics. Ce genre de livre est utile, parce qu'il peut permettre à l'administration de se remettre en cause. » En l’espèce, parler de la seule liberté d’expression aurait été suffisant et plus crédible qu’invoquer la « création littéraire »… Il n’en reste pas moins que ce satané « devoir de réserve » constitue toujours une incongruité juridique : et ce d’autant plus qu’il n’est prévu expressément par aucune loi. Le texte dit « de référence » est incarné par la loi du 13 juillet 1983 « portant droits et obligations des fonctionnaires ». Son article 26 prévoit certes un « secret professionnel » et une « discrétion professionnelle », mais ces notions ne concernent que « les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions ». Anicet le Pors, alors ministre de la Fonction publique, avait expliqué avoir volontairement écarté la mention du devoir de réserve dans la législation, laissant aux tribunaux administratifs le soin de trancher au cas par cas. Durant les débats parlementaires, il avait été souligné que la jurisprudence « fait dépendre la nature et l’étendue de l’obligation de réserve de divers critères dont le plus important est la place du fonctionnaire dans la hiérarchie ». En clair, que, faute de règles détaillées, cela peut virer du meilleur au pire en raison du suspect ! Rappelons, pour simplifier le débat, que l’article 6 de la loi de 1983 dispose par ailleurs : « La liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires. » Et seuls les membres du Conseil d’Etat sont soumis à un statut les invitant à « la réserve que [leur] imposent [leurs] fonctions ». De même, le secret professionnel est mentionné dans les textes législatifs applicables à nombre de professionnels, et le secret-défense incombe aux militaires. Bref, sauf à vouloir continuer à laisser les juges administratifs décider ce que d’autres fonctionnaires qu’eux peuvent ou non écrire, mieux vaudrait encore, une fois de plus, légiférer de façon précise.