Chaque demeure reste hantée par tous ceux qui l'ont habitée. Elle a assisté à leurs rires, leurs rêves et leurs larmes, mais aussi quelquefois aux sombres heures de l'Histoire. En s'installant dans sa maison, Stefan Hertmans ignorait que ces murs avaient servi à l'occupation allemande. L'écrivain, obnubilé par la Première et la Seconde Guerre mondiale, explore ces périodes troubles dans une œuvre dense, dont on commence à peine à saisir l'ampleur en France (Guerre et térébenthine ou Le cœur converti). Or là, il ne soupçonnait pas à quel point l'endroit avait été le siège d'une mécanique redoutable... Il a fallu qu'il tombe, vingt ans après, sur le livre Zoon van een foute Vlaming (Fils d'un mauvais Flamand) pour apprendre − et en avoir froid dans le dos − que Willem Verhulst avait vécu en ces lieux.
Cette figure clef de la collaboration a transformé Gand − ville natale de l'écrivain − en fief nazi. Non seulement il a revêtu volontairement l'uniforme SS, mais il s'est aussi appliqué à envoyer un maximum de juifs ou d'opposants au régime dans les camps d'extermination. Foudroyé, Hertmans mène l'enquête. « L'homme que je veux apprendre à comprendre se dessine lentement. Willem se présente comme le contraire d'un héros », à savoir « un héros de pacotille, un vrai froussard. » Grâce à son carnet, mais surtout aux écrits de ses proches, l'auteur dresse le portrait redoutable de cet homme double et d'une période de l'Histoire qui n'a pas révélé tous ses secrets et son ambiguïté. Au départ, l'enquêteur littéraire pense que Verhulst n'est « pas une mauvaise personne au fond, il était juste égaré, perdu, aveuglé », mais plus il avance dans la connaissance de ses pensées, plus il est persuadé qu'il possède un côté perfide assoiffé de pouvoir. Loin d'être « un nazi hollywoodien, mon héros s'avère un Flamand ordinaire. »
Jusqu'au bout, Verhulst cultive l'idéologie ambiante. « Il est resté franchement "incorrigible et fier" et exprime encore une fois son souhait que la Belgique disparaisse. Il n'a donc rien appris », conclut sa fille Letta. L'œuvre de Stefan Hertmans s'intéresse au « rapport de l'être humain à l'adversité et à la souffrance. » Ici, il est servi. D'autant qu'il introduit un élément essentiel dans ce livre : la vie familiale de Willem Verhulst. C'est là, qu'on découvre la véritable héroïne de ce roman, son épouse humaniste Mientje. Il se marie avec elle après la mort de sa première femme, une juive décédée prématurément. Mientje s'inquiète de l'invasion des Allemands. Elle a beau aimer son homme, c'est avec effroi qu'elle le voit rejoindre avec enthousiasme la collaboration. Alors, Mientje « comme un animal décide de protéger son nid » et ses enfants du Mal. Leur maison symbolise la cohabitation entre l'ombre et la lumière d'une période de l'Histoire qui retentit hélas sur l'héritage politique flamingant et ses ravages actuels en Belgique. « C'est une drôle d'époque qui s'annonce... » À notre tour d'être extrêmement vigilants.
Stefan Hertmans
Une ascension Traduit du néerlandais (Belgique) par Isabelle Rosselin
Gallimard
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 23 € ; 480 p.
ISBN: 9782072940996