7 MARS - PATRIMOINE LITTéRAIRE France

Si Franz Kafka, qui, comme nombre d'écrivains, connut la précarité et, de surcroît, avait exigé qu'à sa mort ses inédits fussent brûlés - promesse non tenue par son ami et exécuteur testamentaire Max Brod - savait que le manuscrit incomplet de son Procès vaudrait (en 1988, l'année de sa mise en vente chez Sotheby's Londres) la somme pharamineuse de 1,7 million de dollars, il en serait sans doute atterré, voire scandalisé. Tout comme son confrère Jack Kerouac, le « clochard céleste », contempteur de la société de consommation et apôtre du renoncement, dont le rouleau tapuscrit de Sur la route a été acquis chez Christie's New York, en 2001, pour 2 426 000 dollars, par un certain Jim Irsay, propriétaire de l'équipe de football des Indianapolis Colts, lequel le possède toujours. Le fait est assez rare pour être signalé, car l'une des conséquences de cette flambée de la cote des manuscrits littéraires est qu'ils s'achètent et se revendent, avec, chaque fois, des plus-values considérables. Déraisonnables, estiment certains spécialistes.

En France, l'un des responsables de cette explosion du marché des manuscrits - longtemps sous-exploité, sous-coté par rapport au domaine des dessins et tableaux - s'appelle Gérard Lhéritier, président-fondateur du musée des Lettres et Manuscrits, et créateur d'Aristophil, une société d'investissement qui permet à tout un chacun, un peu fortuné, de devenir propriétaire d'une part d'un manuscrit onéreux. Considéré par certains comme un tycoon qui fausserait les prix, subvertissant un marché traditionnel raisonnable, parfois contesté, Gérard Lhéritier assume son oeuvre, et, contrairement à d'autres institutions, expose les manuscrits qui sont en possession de son musée, ainsi que ceux qui lui sont confiés en dépôt. C'est cette démarche que met en avant l'album L'or des manuscrits, qui ressemble plus à un catalogue de vente publique qu'à celui d'une collection. Les 100 manuscrits choisis y sont classés, depuis le Codex Leicester de Léonard de Vinci jusqu'aux carnets de notes de John Lansing, « source d'information unique sur la genèse de la Constitution des Etats-Unis d'Amérique », non point par genres, époques ou intérêt intrinsèque, mais selon un ordre décroissant de prix, soit de 30,8 millions à 902 500 dollars. On l'aura compris, cette mercantilisation des manuscrits s'opère sous forte influence anglo-saxonne, avec Sotheby's et Christie's à la manoeuvre. Même les plus grands écrivains français n'échappent plus aux lois du marché, des manuscrits de Balzac, Breton, Flaubert, Verlaine, Céline, Sartre, Rousseau, Gide et quelques autres faisant partie de ce « top cent » bling-bling.

Chaque manuscrit est décrit, montré quand c'est possible, et sa « traçabilité » racontée. C'est passionnant, et un rien nostalgique : aujourd'hui, depuis l'ordinateur, Internet et les SMS, les manuscrits d'écrivains n'existent quasi plus, ni les correspondances. De quoi encourager un peu plus la spéculation sur ceux du passé.

Les dernières
actualités