Biram et Marème (qui se fera appeler Doriane, pour mieux renier ses origines et sa vie d’avant) sont deux jeunes comme il y en a hélas des milliers, au Sénégal et ailleurs. Sans réelle perspective d’avenir dans leur pays, soit par malchance, soit par manque de courage, attirés comme des phalènes par l’Occident dans ce qu’il a de pire, de plus superficiel : ses biens de consommation, et prêts à tout pour gagner ce supposé Eldorado, sans réellement l’aimer ni vouloir s’y intégrer. Sur le sujet grave de l’immigration « sauvage », de ces jeunes qui veulent « faire l’aventure », Fabienne Kanor, journaliste et documentariste, aurait pu écrire un essai décapant. Elle a préféré le roman, mais tout aussi dissuasif.
Biram est un garçon pas très futé et sans projet. Si ce n’est «manger du caviar à l’arrière d’une limousine bleue, transpirer dans une chemise Pierre Cardin, […] recevoir des msn de Beyoncé, faire [son] footing en baskets Jordan ». Sans repères ni religion (vaguement musulman, sans plus), un peu gigolo, un peu voleur. Marème de Dakar, elle, est une frimeuse, une fashion victim un peu plus évoluée : elle poursuit ses études en attendant que son petit ami, Jonas, l’emmène en Europe.
Biram, de son côté, va décider de partir, à la suite d’une embrouille. Il s’embarque pour les Canaries, Ténérife, où on le retrouve trois ans plus tard, vivant de petits boulots et d’expédients, cornaqué par son compatriote Sidi, un caïd local qui dirige tous les trafics. Il rencontre Hélène, avec qui il couche, et qui lui fait miroiter l’Italie. Biram se réembarque et, comme la majorité des boat people, s’échoue à Lampedusa. De là, il gagne Palerme, où il retombe sur Sidi et sa bande de modou-modou, camelots plus ou moins esclavagisés.
C’est aussi sur la plage de Palerme que, par miracle, « comme au cinéma », il retrouve Marème, laquelle fait semblant, au début, de ne pas le reconnaître. Après des années de galère (douze ans ont passé depuis leur rencontre à Mbour), elle a épousé un vieil Italien friqué, Giovanni, qui l’appelle Doriane et lui assure le confort. Aura-t-elle le courage de tout plaquer pour un va-nu-pieds, certes jeune et beau garçon, mais avec un pois chiche dans la calebasse ? On laisse au lecteur le plaisir de le découvrir.
Sans manichéisme ni indulgence pour ses personnages, Fabienne Kanor a écrit, avec Faire l’aventure, un roman ambitieux et diffus, réaliste et salutaire, qui devrait être prescrit dans toutes les écoles, ici et là-bas. Jean-Claude Perrier