Certes, l’affaire est en apparence enterrée, tant la burqa, Zahia et autres polémiques sont venues occuper la Une depuis. L’affaire du drapeau outragé risque cependant, par le biais d’un nouveau projet de loi démagogique, d’empiéter prochainement sur la liberté de s’exprimer, et donc d’éditer. Car, pour l’heure, la Garde des Sceaux a bien dû se résoudre à constater qu’elle ne pouvait lancer les poursuites judicaires qui lui étaient réclamées par quelques élus désoeuvrés et scandalisés par la photo lauréate du concours organisé par la Fnac de Nice. D’où son idée de modifier le Code pénal pour que cessent enfin ces graves mises en péril de l’identité nationale. Souvenons-nous : le délit d’outrage au drapeau tricolore ou à l’hymne national a été introduit à l’article 433-5-1 du Code pénal par une loi du 18 mars 2003 relative à la « sécurité intérieure ». Le point de départ ? Encore ces satanés footballeurs ! La Marseillaise avait été sifflée, en présence des plus hauts édiles de la république, lors d’un match France-Algérie. D’où l’impérieuse nécessité de sanctionner « le fait, au cours d’une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, d’outrager publiquement l’hymne national ou le drapeau tricolore » et d’assortir le tout de 7.500 euros d’amende. Seul jusqu’ici l’article 440 du Code de justice militaire incriminait l’outrage au drapeau ou à l’armée ; mais il ne concernait qu’une population en uniforme. En décembre 2003, le Conseil constitutionnel, examinant la nouvelle loi, avait précisé que « sont exclus du champ d’application de l’article critiqué les œuvres de l’esprit, les propos tenus dans un cercle privé ». Et le procureur Montgolfier, veillant sur la baie des Anges, ne s’est pas privé de le rappeler à MAM, si prompte à dégainer depuis qu’elle est ministre de la Justice qu’elle (et son cabinet) en oublient de relire la loi. Une version initiale du texte de 2003, votée précipitamment (pour répondre aux vœux du journal télévisé de 20 heures) avait d’ailleurs visé plus large et permettait de punir également les artistes et leurs éditeurs. C’est à cet élan qui vient du cœur que veut retourner MAM, grâce à un éventuel nouvel article du Code. La tache sera difficile. Passons sur le fait que le texte de Rouget de L’Isle a été modifié à de nombreuses reprises et qu’aucun ministre ne serait capable d’en réciter la version d’origine. La Cour suprême américaine - pays peu patriote comme chacun sait - s’est ainsi toujours refusée à valider des sanctions prononcées contre les auteurs d’une atteinte au drapeau. Dans une importante décision Texas v. Johnson , les juges de Washington ont estimé, le 21 mars 1989, que les règles de certains Etats fédérés fustigeant l’outrage au drapeau étaient inconstitutionnelles, car elles portaient atteinte à la liberté d’expression, reconnue et protégée par le Premier Amendement de la Constitution fédérale américaine. Quant au Flag Protection Act of 1989 , il est resté à son tour sans effet en raison de son invalidation par la Cour Suprême dans une décision United States v . Eichman du 11 juin 1990, qui a considéré le fait de brûler le drapeau comme une « expression symbolique » digne de protection. Mais est-ce bien nécessaire de légiférer ? La Fnac, dans une totale indépendance et un respect éloquent du gagnant de son concours lancé sur le thème du politiquement incorrect, a spontanément décroché le cliché outrageant. Gageons qu’elle poussera le zèle jusqu’à retirer de ses bacs le CD de Gainsbourg s’attaquant à l’hymne national.