Rémunération

Salons : chers auteurs

Des auteurs face au public du festival Etonnants voyageurs, 2015. - Photo Gaël Le Ny/Etonnants voyageurs

Salons : chers auteurs

Le nouveau dispositif de soutien aux manifestations littéraires mis en place par le CNL, qui lie ses aides à la rémunération des auteurs, se met doucement en place. Sans remettre en cause le bien-fondé de la réforme, les organisateurs de salons sont obligés de faire preuve d’imagination pour composer avec des budgets serrés.

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Par Marine Durand
Créé le 15.04.2016 à 01h00 ,
Mis à jour le 15.04.2016 à 12h04

Dans les manifestations littéraires, le grand bug de l’an 2016 n’a pas eu lieu. Ou du moins, pas encore. Annoncé dès 2014 par Vincent Monadé, le président du Centre national du livre (CNL), prévu pour 2015 et finalement reporté d’un an pour laisser un peu plus de temps et de marge de manœuvre aux programmateurs, le nouveau dispositif de soutien aux salons et festivals, conditionné par la rémunération des auteurs participants à des débats et lectures, est entré en vigueur au début de l’année. Si elle continue à susciter un certain nombre d’inquiétudes en raison du trou supplémentaire que ce supplément de charges occasionne dans les budgets, la réforme semble définitivement adoptée dans son principe par les organisateurs. "Jusqu’en 2015, nous rémunérions les rencontres jeunesse dans le cadre scolaire sur la base de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, mais aussi les lectures et conférences des auteurs pour adultes qui demandaient de l’investissement", rappelle Régis Penalva, coordinateur de la Comédie du livre de Montpellier.

Manosque
Olivier Adam sur la scène des Correspondances de Manosque.- Photo FRANÇOIS-XAVIER EMERY/LES CORRESPONDANCES DE MANOSQUE

Sans rechigner

Fin mai 2016, il se pliera sans rechigner aux directives du CNL en rémunérant, hors ceux qui viennent simplement en dédicace, tous les auteurs "sans qui les manifestations littéraires n’existeraient pas". D’après ses calculs, le montant global des rémunérations atteindra 40 000 euros, alors que la subvention, revue à la hausse après le passage devant la commission Vie littéraire du CNL, se monte à 28 000 euros. Mais Régis Penalva, qui a la chance de pouvoir compter également sur l’engagement de la ville de Montpellier et de Montpellier Méditerranée Métropole, l’assure : "Cela n’aura aucun impact sur la programmation. Nous aurons le même nombre d’auteurs invités, et un soutien identique de la part des libraires."

"Ne subventionner que les manifestations qui payent les auteurs, cela me semble être un pari cohérent", abonde Pierre Mazet, directeur de l’Escale du livre à Bordeaux, qui rémunérait déjà les lectures. Mais avec une édition 2016 qui s’est tenue du 1er au 3 avril, la manifestation est l’une des premières à avoir fait les frais, au sens propre comme au figuré, de la réforme. "Nous recevons chaque année autour de 65 000 euros de subvention du CNL. Cette fois, l’enveloppe a été gonflée de 10 000 euros. Mais en face, le surcoût atteint 25 000 euros." Où a-t-il trouvé les 15 000 manquants ? "Nous avons réduit les dépenses au niveau de la communication, et fait quelques économies à droite à gauche."

En revanche, si la programmation 2016, bouclée avant l’entrée en vigueur de la réforme, n’a pas été affectée, Pierre Mazet explique être dans le flou total pour les prochaines éditions. "Nous sommes un festival des créations littéraires, la partie débats et conférences doit donc rester centrale, c’est ce qui plaît à notre public. Mais à l’heure où les collectivités ont tendance à diminuer leur aide, j’espère quela mesure ne conduira personne à privilégier les auteurs reconnus face aux primo-romanciers."

En danger de mort

Pierre Mazet n’est pas le seul à s’inquiéter du retrait des fonds publics. Michel Le Bris, fondateur du festival Etonnants voyageurs, qui se tiendra du 14 au 16 mai, a poussé un cri d’alarme qui n’est pas passé inaperçu lors de la présentation de la 27e édition, estimant que la manifestation était "en danger de mort" depuis que la ville de Saint-Malo a annoncé qu’elle ne mettrait plus de personnel à sa disposition. Dans ce contexte, la surcharge liée à la rémunération des auteurs n’en est que plus problématique. Mais les arbitrages n’étaient pas définitivement réglés à l’heure où nous mettions sous presse.

De son côté, Serge Roué, le directeur du Marathon des mots à Toulouse, manifestation à laquelle il a donné une nouvelle ampleur en créant les Marathons d’avril et d’automne autour du rendez-vous principal de juin, préfère attendre la fin du cycle des manifestations, mais aussi de connaître le montant de sa subvention, pour livrer un premier bilan. Mais il reconnaît que les nouvelles directives "vont l’obliger à une certaine gymnastique. En dehors de ce qui a trait aux auteurs, nous réduisons tout : la communication, la logistique, le nombre de lieux", indique-t-il, sans complètement écarter l’idée de revenir à deux marathons au lieu de trois.

Entre système D et économies de bouts de chandelle, l’obligation de rémunérer les auteurs a parfois conduit les municipalités organisatrices à des situations inattendues. A Gradignan où l’on a, comme à Brive, souhaité anticiper la réforme dès 2015, il a été décidé de ne plus rémunérer les heures supplémentaires des agents municipaux mobilisés sur le festival Lire en poche. Contrecoup de la mesure, détaille Lionel Destremau, le commissaire général, "ces agents ont évidemment récupéré ces heures, ce qui a entraîné une pénurie de personnel pour la mairie".

Contraintes techniques

Le programmateur, qui rémunérait pour la première fois ses auteurs pour adultes, a également dû faire face à des contraintes techniques : "Beaucoup d’auteurs ne savaient pas s’ils étaient affiliés ou assujettis aux Agessa, sans parler des auteurs étrangers, pour qui nous sommes censés rédiger un CDD d’une heure.Mais j’imagine que dans trois ou quatre ans, ce sera devenu une habitude, comme pour les auteurs jeunesse."

Lionel Destremau ne peut cependant s’empêcher de penser aux conséquences qu’aura cette normalisation pour les petits salons, non subventionnés par le CNL, qui ne pourront pas se permettre de telles dépenses. "C’est simple : plus personne n’acceptera d’y aller."

A Pau, pourtant, Delphine Sémavoine, la directrice des Idées mènent le monde, ne semble pas craindre une désertification. Le festival, créé en 2014, est encore trop jeune pour envisager de bénéficier d’une aide du CNL. L’an dernier, tous les auteurs invités ont accepté de venir partager des "rencontres intimes, où ils se livrent personnellement", de façon bénévole. Et les organisateurs, le maire François Bayrou en tête, n’envisagent pas que cela change. "Je m’apprêtais à envoyer le dossier de subvention au CNL, mais si la condition est de rémunérer les auteurs, nous allons sûrement nous en passer. C’est l’esprit de notre festival, d’autant qu’aucun partenaire ne participe de façon financière", précise Delphine Sémavoine.

"Il va falloir inventer"

Renoncement aux aides, tâtonnements, ajustements à la marge, à chaque programmateur sa technique pour digérer une réforme qui, au-delà des difficultés de la phase de transition, pourrait bien conduire à de nouveaux usages, plus vertueux. Lionel Destremau, plutôt échaudé par son année test, reconnaît que si la mesure oblige certains salons à diminuer les invitations, "ce n’est pas forcément négatif, car beaucoup étaient entrés dans une course au nombre". Pour Serge Roué qui, au-delà du Marathon des mots, participe à la programmation de divers festivals, cette contrainte supplémentaire pourrait aussi être l’occasion d’accentuer les liens entre les manifestations voisines, ou ayant une proximité d’idées : "Cela pourrait se concrétiser dans une coproduction des lectures performances, un partage des frais pour des écrivains qui viennent de loin et tournent sur plusieurs festivals… Il va falloir inventer des formes, mais j’espère que cela va faire naître des coordinations nouvelles entre les festivals."

La commission Vie littéraire, banquier des salons

En 2015, le Centre national du livre a soutenu 95 manifestations littéraires, aux premiers rangs desquelles L’Escale du livre à Bordeaux, le festival Etonnants voyageurs, Les Rendez-vous de l’histoire ou le Marché de la poésie, à Paris.

Le montant total des subventions distribuées par la commission Vie littéraire s’élevait l’an passé à 1,89 million d'euros. Pour 2016, bien que le président du CNL, Vincent Monadé, promette un effort supplémentaire de 200 000 euros, l’enveloppe est encore difficile à chiffrer : tous les dossiers n’ont pas encore été étudiés par la commission Vie littéraire.

Composée de 12 membres issus des différents métiers de la chaîne du livre, celle-ci, dont le nouveau président doit être nommé très prochainement, se réunit trois fois par an, en février, mai et septembre, pour statuer sur les demandes de salons existant depuis au moins trois ans, en tenant compte de critères précis : le rayonnement "national voire international du projet", la "présence et la valorisation des librairies indépendantes", la "capacité de renouvellement dans le choix des auteurs proposés", mais aussi, depuis janvier 2016, la rémunération des auteurs.

Le montant de la subvention, qui fait encore frémir beaucoup d’organisateurs de salons qui se tiendront en fin d’année, est calculé "sur la base des seuls coûts afférents aux activités littéraires", dans la limite de 50 % du montant. Il couvre les frais de déplacement, d’hébergement et de rémunération des auteurs, traducteurs, interprètes et animateurs de rencontres ou de débats.

"C’est aux auteurs de s’emparer du dispositif"

 

Artisan de la réforme qui secoue les manifestations littéraires, Vincent Monadé, président du CNL, plaide pour une appropriation du dispositif par les premiers concernés.

 

Vincent Monadé. - Photo OLIVIER DION

Vincent Monadé - Il est encore trop tôt pour tirer un vrai bilan. C’est une réforme qui a pris dix-huit mois pour être mise en œuvre, j’ai laissé un an de transition aux programmateurs pour s’organiser, tout en comptant sur une aide supplémentaire du Centre national du livre. Nous consacrons quand même 200 000 euros de plus aux manifestations qui rémunèrent leurs auteurs ! Il faut désormais laisser du temps pour que cela entre dans les mœurs. Toute réforme entraîne son lot d’interrogations. Lorsqu’il y a dix ans mes prédécesseurs ont demandé à ce que les festivals laissent de la place à la librairie indépendante, tout le monde avait crié au scandale. L’inverse serait impensable aujourd’hui.

Dans les faits, sept festivals sur dix subventionnés par le CNL rémunéraient déjà leurs auteurs, et je ne crois pas que les manifestations du début d’année aient eu à faire ce type d’arbitrage. D’autant que le fait d’accorder de la place à la jeune création est l’un des critères d’attribution des aides du CNL. J’ai vu des auteurs très confirmés et d’autres émergents à Quais du polar, et la Fête du livre de Bron a été un triomphe, avec un plateau d’auteurs remarquable. Mais, en effet, peut-être faudra-t-il penser à faire des programmations un peu plus resserrées, avec des axes thématiques forts. Ce qui compte aujourd’hui pour le public, c’est la qualité de la rencontre avec l’auteur, qui n’est plus un écrivain solitaire travaillant dans sa chambre, et qui n’est pas non plus taillable et corvéable à merci. C’est normal qu’un organisme public comme le nôtre considère que tout travail mérite salaire.

Je ne suis pas puissance normative, et les auteurs peuvent signer un renoncement à leurs droits. Nous conditionnons notre aide pour les salons, mais c’est aux auteurs de s’emparer de ce dispositif, comme l’ont fait les auteurs jeunesse depuis une dizaine d’années. Quant aux aspects techniques, la rémunération en droits d’auteur ne devrait pas poser de problème puisque tous les auteurs sont assujettis aux Agessa.

Tant que le CNL aura les moyens de soutenir cette réforme, il le fera. Mais je ne crois pas que le CNL soit aujourd’hui le principal problème des organisateurs de festivals et de salons, qui doivent faire face au désengagement des collectivités territoriales. Dès le mois d’octobre, lorsque nous serons dans un léger creux au niveau des manifestations, je réunirai les programmateurs pour que nous fassions ensemble un premier bilan, afin de définir des pistes de réflexion.

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