Avant-critique Roman

Richard Flanagan, "Question 7" (Actes Sud)

Richard Flanagan - Photo © Joel Saget

Richard Flanagan, "Question 7" (Actes Sud)

Entre autobiographie et réflexion historique, le nouveau roman de Richard Flanagan saisit ces moments parfois infimes au cours desquels la destinée du monde bascule.

Parution 4 septembre

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Par Laëtitia Favro
Créé le 06.09.2024 à 14h00

Questions sans réponse. Le temps était clair au-dessus de la ville d'Hiroshima quand, le 6 août 1945, le commandant Thomas Ferebee actionna une manette du B-29 Enola Gay, larguant la bombe qui allait instantanément réduire plus de soixante-dix mille vies à néant. À cent vingt kilomètres plus au sud, un Australien, prisonnier des Japonais depuis quatre ans, poursuivait au même moment « sa tâche exténuante consistant à pousser des wagonnets de caillasse dans les longs tunnels sombres et inclinés creusés sous la mer Intérieure ». À l'hiver 2012, le fils de cet homme visitait le camp japonais d'Omaha où son père avait été détenu, sous le regard de caméras espérant capturer une image de réconciliation. Si Richard Flanagan n'avait rien à pardonner, il lui fallait comprendre. Comprendre comment les États-Unis avaient pu choisir de fabriquer l'arme de destruction ultime, comment son père avait survécu à l'enfer, et pourquoi « à la guerre, même la simple arithmétique est impossible ».

Entrelaçant les destins de celles et ceux qui, inconsciemment ou non, ont participé à l'une des tragédies les plus indépassables du XXe siècle, Question 7 saisit ces rencontres qui sont autant de moments de bascule : quand « la jeune sauvageonne » Rebecca West se présente devant le grand H.G. Wells « après avoir massacré ses œuvres à coups de mots » - et qu'ils tombent fou amoureux -, quand l'auteur de La guerre des mondes découvre les recherches de Frederick Soddy sur le radium et s'en inspire pour imaginer une arme capable de détruire une ville en une déflagration, quand le physicien Leó Szilárd, après avoir lu Wells, s'emploie à convaincre Roosevelt de la nécessité de doter les États-Unis de la bombe atomique. Autant de rencontres auxquels Flanagan n'a pas assisté mais qu'il recrée à l'aune de leurs incommensurables répercussions, partant du principe selon lequel « le passé n'est jamais aussi nettement perçu que par ceux qui ne l'ont pas vécu ». Au fil de courts chapitres dont le lecteur saisit, grâce au recul de l'histoire, la portée tragique, Flanagan crée un effet domino dont la chute révèle peu à peu le nuage caractéristique d'une explosion atomique. Une réaction en chaîne à l'image de celle nécessaire pour produire l'énergie nucléaire, à laquelle l'écrivain mêle la trajectoire de sa famille, des bagnes tasmaniens à la vocation littéraire d'un petit garçon qui, pour s'affranchir, devra « extirper » de lui-même « le sang de bagnard goutte à goutte, mot par mot, livre après livre ». Question 7 est un hommage à la littérature et à ce qu'elle permet - non pas de fournir des réponses mais de poser les questions nécessaires, « ne serait-ce que pour comprendre que la vie n'est jamais binaire, ni réductible aux clichés ou aux codes, mais un mystère qu'au mieux nous devinons ». Dans la lignée de La route étroite vers le nord lointain (Actes Sud, 2016), ce grand roman d'amour et de mort interroge le sens de l'histoire et des actions humaines, si tant est qu'elles en aient.

Richard Flanagan
Question 7
Actes Sud
Traduit de l’anglais (Australie) par Serge Chauvin
Tirage: 5 500 ex.
Prix: 22,50 € ; 288 p.
ISBN: 9782330195465

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