Zoé réédite dans sa collection de poche le dernier roman de Maurice Zermatten (1910-2001), paru pour la première fois en 1983 chez Denoël, dans lequel l’homme de lettres suisse célèbre une dernière fois les intraitables montagnes de son Valais originel. Ce fils d’instituteur devenu enseignant a été toute sa vie l’ardent gardien de la mémoire et de l’imaginaire du petit peuple des hauts pays du Rhône, sa prose rendant intensément hommage à l’"âme humaine archaïque" qui habitait ces lieux inscrits dans des temps géologiques.
A l’est du Grand-Couloir fait revivre Zampé, un hameau disparu dans les années 1940, une communauté de "douze feux, cinquante-six âmes", installée sur un replat, coupée du monde l’hiver par les avalanches qui emportaient le pont de bois enjambant un torrent furieux reconstruit chaque printemps. C’est là qu’un artiste peintre - double fictif de l’écrivain - a passé, lorsqu’il avait 10 ans, six mois isolé avec son père "régent" venu faire la classe à la douzaine d’écoliers du village. "Un merveilleux hiver de son enfance" qui resurgit quarante ans plus tard, lorsque l’artiste trouve au bord d’un canal le cadavre d’un des habitants du hameau, le vieux braconnier Arthur. Accompagné de la sœur du noyé, il remonte à Zampé, ce vert paradis qu’il n’a jamais revu, où les maisons ont été rasées, les dernières traces enterrées, et dont il ne reste rien sinon un vieux sureau, une croix de fer sur laquelle ont été gravés les noms des habitants expropriés. Sur cette "lande déserte", il n’y a plus que les souvenirs des vivants, les derniers témoins à pouvoir évoquer le passé disparu, les histoires des "vieux temps", le sort fatal du village. Les seuls à pouvoir ressusciter Zampé et ses morts, grâce à leurs récits entremêlés car, comme le prévient l’exergue : "Si tu ne racontes,/le sillon se refermera sur l’oubli/et tout sera perdu."
V. R.
