François Cavanna est mort en janvier 2014, un an avant que deux de ses plus vieux compagnons, Cabu et Wolinski, évoqués dans ce dernier livre aux côtés d'autres copains - Reiser, Siné, Gébé - tous disparus, ne meurent sous les balles des frères Kouachi, à Charlie Hebdo, son journal, cet hebdomadaire satirique héritier très assagi du « bête et méchant » Hara-Kiri, imaginé avec le Professeur Choron cinq décennies plus tôt. Crève, Ducon ! est l'ultime saillie bravache de l'écrivain journaliste, les derniers mots écrits de ce recueil qui vient clore Lune de miel paru en 2011 quand Cavanna, à 87 ans, ferraillait depuis déjà cinq ans contre « Miss Parkinson ». Voilà donc une dernière volée d'histoires courtes, les dernières nouvelles d'une autobiographie en fragments, assemblées sans ordre chronologique, qui font revivre un temps disparu, le siècle dernier, dans la prose épicée et crue, tendre et rustique, qui faisaient la patte de ce fou de la langue française.
Comme dans Lune de Miel, il y célèbre sur tous les tons la chance d'avoir croisé dans les dernières années de sa vie la « petite Virginie », une de ses fidèles lectrices. Avec ce « farfadet » venu lui proposer ses services d'assistante, il a développé une singulière relation d'amitié où le fantasme n'est pas exempt de lucidité : « L'aimerais-je autant, la petite Virginie, si sous la rugueuse étoffe de son jean, il se trouvait, au lieu du petit pain au lait que j'imagine, une panoplie complète de jeune mâle en état de servir ? ». Epaulé par cette femme de 50 ans sa cadette qui postface ce dernier livre tandis que la mère de ses enfants Tita présente le recueil, Cavanna, fils d'un prolétaire immigré italien et d'une Nivernaise revient sur son enfance à Nogent-sur-Marne ; sur ses rocambolesques trafics de champignons avec une carriole à bras dans Paris sous l'Occupation aux côtés de Roger « l'ami merveilleux » ; sur sa sortie contre un Charles Bukowski aviné sur le plateau de l'émission Apostrophes lors de la parution de son best-seller Les Ritals - que le comédien Bruno Putzulu vient d'adapter au théâtre... Des faits d'armes et des drames aussi comme cette virée en péniche sur la Seine au cours de laquelle l'enfant d'un des membres de l'équipe se noiera. Dans cette galerie de personnages bord cadre qui peuplent ses brefs récits, deux souvenirs disent la liberté unique, sans filtre qu'incarnaient Cavanna et ses compagnons de la rue des Trois-Portes, à Paris, la maison mère de l'esprit Hara-Kiri : l'apparition fantomatique d'une femme nue au corps peint en blanc un soir dans les locaux de la rédaction (« La reine de la nuit ») et le bizarre moment d'érotisme avec la colporteuse d'un journal ésotérique (« L'ange fatigué »). Bête et méchant, Cavanna ? Plutôt futé, gentil et sans aigreur : un provocateur sentimental, à l'ancienne.
Crève, Ducon !
Gallimard
Tirage: 12 000 ex.
Prix: 18,50 euros ; 240 p.
ISBN: 9782072861239