"Je me fais une idée bien trop belle du métier d'éditeur pour imaginer un contrat d'édition, serait-il numérique, limité à 3 ou 5 ans. J'ai bien trop d'estime pour mes auteurs et leurs oeuvres, pour envisager d'en exploiter les droits à l'infini, par la vertu artificieuse de l'impression à la demande.
Or il faut bien qu'un contrat ait un début et une fin. Mais aussi qu'il ait un objet. Et je conçois mal que l'oeuvre, objet du contrat, soit saucissonnée au gré et selon la nature de son exploitation.
L'oeuvre est une, indivisible ; l'alchimie réussie, secrète et précieuse, qui du manuscrit conduit au livre publié, doit le rester. C'est avant tout en ce lieu que se fonde la relation entre auteur et éditeur : au cours de ce dialogue fécond surgira l'ultime note, celle qui donne la grâce et parfois le succès.
Aujourd'hui, nous publions des livres, nous en exploitons les droits. C'est une stratégie globale, de promotion et de commercialisation, qu'il faut à chaque instant réinventer. Et rien ne justifie que tel ou tel format ait un statut particulier...
En revanche, dès lors qu'une nouvelle perspective, en l'occurrence le numérique, dénature l'esprit du contrat, il devient nécessaire de le refonder. D'autant que dans le cas présent, le numérique agit surtout comme le révélateur d'un malaise croissant entre auteurs et éditeurs.
Comment justifier, par exemple, que nos contrats soient signés pour la durée de la propriété littéraire (70 ans post mortem), alors que les contrats d'acquisition d'oeuvres étrangères le sont pour des durées qui excèdent rarement 15 ans ? Comment défendre la notion d'exploitation permanente et suivie quand on voit surgir, ici ou là, des blocs de papier qui n'ont qu'une lointaine ressemblance avec un livre ? Mais aussi, comment ne pas comprendre que l'édition, numérique ou pas, a besoin de temps ? Qu'aux coûts d'impression s'ajoutent les coûts de création, de promotion, de commercialisation ? Que l'édition numérique nécessite des investissements différents ? Et que, finalement, l'essentiel de notre avenir se joue en librairie - et qu'il y a là aussi fort à faire.
Pour ma part, je propose un contrat unique dont la durée soit limitée (20 à 25 ans), un contrat qui concerne l'oeuvre sous toutes ses formes, un contrat qui définisse quelle sera l'exploitation principale et redonne sens à la notion d'exploitation permanente et suivie, un contrat reconductible protégeant aussi bien l'auteur que l'éditeur sur un plus long terme, un contrat souple, qui prévoie une évolution juste de la rémunération des auteurs. Un contrat, enfin, qui honore le pacte de confiance liant auteurs et éditeurs."