Comme c'est souvent le cas avec les écrivains-météores, dont la carrière a été interrompue par la camarde, Luc Dietrich (né Raoul, à Dijon, en 1913, mort à Paris en 1944) est à peu près inconnu, et son oeuvre difficilement accessible. En dépit de l'obstination de quelques fidèles, éditeurs comme Le Temps qu'il fait et Eolienne, et biographes comme Frédéric Richaud, lequel avait déjà dirigé, sur l'auteur du Bonheur des tristes (Denoël, 1935) et de L'apprentissage de la ville (Denoël, 1942) - ses deux seuls romans et ses deux seuls vrais livres parus de son vivant - un Cahier, monographie publiée au Temps qu'il fait en 1998. Richaud, qui se trouve être par hasard l'arrière-petit-cousin de Dietrich, récidive aujourd'hui, avec une biographie définitive. Travail qui montre des textes et documents inédits, notamment les dernières photographies prises par l'écrivain, ou des manuscrits de ses brouillons ou carnets, souvent illustrés. Il y notait tout, dressant par exemple, année par année, la liste de tous les gens qu'il avait rencontrés ! TOC innocent d'un homme qui avait d'autres penchants nettement plus douteux.
Sa mort à 31 ans, due à toutes les maladies qui l'ont toujours accablé ainsi qu'aux blessures reçues lors du bombardement de Saint-Lô par les Américains en juin 1944, lui vaut peut-être absolution. Et bien sûr, le petit Raoul a eu une enfance épouvantable - un père drogué qui se suicide en 1919 (son fils avait 6 ans), une mère instable, dépressive, droguée elle aussi, qui ne s'est guère occupée de lui et le laisse orphelin en 1931. A 16 ans, il était valet de ferme - tout en écrivant des poèmes !
Mais, toute sa vie, Dietrich fut un instable, incapable de garder un emploi, qui vécut aux crochets des autres, notamment des femmes, avec qui il se comportait comme un saligaud. Un gigolo qui avait du succès malgré son physique ingrat ("Ma laideur. Moche. Je m'en fous ", notait-il dans ses carnets), un macho violent, alcoolique et drogué, dealer plus ou moins proche de Stavisky. Un parasite social qui eut la chance de trouver sur sa route de bonnes fées, comme René Daumal, l'homme du Grand jeu (mort lui aussi prématurément en 1944) ; l'éditeur Robert Denoël, qui accepta de publier ses livres et le soutint de son mieux ; ou surtout Lanza del Vasto, l'ami de toute une vie, longtemps son maître à penser, qui l'"accoucha" en tant qu'écrivain. Ils ont d'ailleurs cosigné un livre, Dialogue de l'amitié (paru chez Robert Laffont en 1942). Dans les derniers temps, il y eut divergences et fâcherie : Lanza, après son voyage en Inde, s'était "converti" à l'hindouisme, tandis que Dietrich s'était laissé embobiner par les théories fumeuses de Gurdjieff.
Restent ses livres, deux romans plus ou moins autobiographiques - notre homme était aussi un mythomane de première force. Le second, L'apprentissage de la ville, qui avait enthousiasmé Eluard, avec des accents parfois "céliniens". Mais on est loin du Voyage. Dietrich manque de souffle et de sincérité.
La biographie, elle, impeccable par ailleurs, manque d'une conclusion qui remettrait cette oeuvre en perspective.