Dans le créole haïtien, "rampage" signifie "furie" ou "sauvagerie", nous informe le narrateur de Shots. Et ce mot hante sa tête, une nuit de cauchemar, dans la moiteur de Miami où ce décorateur marseillais de 36 ans, photographe de mariages à l’occasion, erre à la recherche de son frère aîné impliqué dans de sales affaires et disparu des écrans radars. Du rampage - traduit en morts violentes, en rage éruptive, débridée -, il y en a toujours dans les livres de Guillaume Guéraud, quel que soit l’âge du lecteur auquel s’adresse l’auteur du saisissant Je mourrai pas gibier (Rouergue, "DoAdo. Noir", 2006). On reconnaîtra donc ici encore l’imaginaire en noir et rouge, peuplé d’hommages, de l’écrivain qui place Scarface au sommet de son panthéon de cinéphile (dont il a raconté les souvenirs en 2010 dans l’autobiographique Sans la télé) même si on est plus proche ici de Miami vice de Michael Mann. De Marseille à la Floride, sur les traces de ce frangin qui a mal tourné, et dans la pure mythologie du genre, on croisera ainsi toute une brochette de petits délinquants et de grands bandits de stature internationale, des riches Equatoriens exilés amateurs d’art contemporain, une sorcière vaudoue, une brune inatteignable, un tueur cubain manieur de couteaux et de marteaux.
Mais Guillaume Guéraud y expérimente surtout une forme originale en présentant le récit comme un album de photos, un journal en images mais… sans les images. Seules restent les légendes sous des dizaines de photos, sur la période de 1981 à 2014, photos d’archives familiales, photos posées, photos volées, des photos ratées, clichés de groupes ou gros plan d’un détail (les jambes de Léa Kavichek), décrites et maquettées dans les pages mais au contenu invisible. Disparition dont le lecteur aura l’explication à la toute fin du livre. Guéraud prouve qu’il sait assurer tous les postes, du scénario au cadre, pour réaliser des films de gangsters, avec son écriture saignante pour seule caméra. Véronique Rossignol