En 2006, les Renseignements généraux alertent le préfet de police de Paris par une note : "M. Chevandier travaillerait actuellement sur une étude d'histoire sociale des policiers." Exact ! Six ans plus tard, voici le résultat.
La police est un bon indicateur... de l'Etat. L'histoire des condés nous en apprend beaucoup sur la façon dont cet Etat organise la société, comment il envisage l'ordre, la sécurité, la répression et ce qu'il demande à ceux qui sont chargés d'assurer ces services. Christian Chevandier nous propose de regarder sur le long terme ceux que l'on appelle les gardiens de la paix, les "soutiers de la police", ces fonctionnaires qui font partie intégrante du "peuple urbain" parce qu'ils en sont le plus souvent issus.
De 1870 - date de l'arrêté qui crée le corps des Gardiens de la Paix - à nos jours, l'historien, professeur à l'université du Havre, nous livre une somme impressionnante sur ces policiers dans la ville. Impressionnante par la quantité de matériaux, d'archives et d'anecdotes recueillis. Cela va des scènes de films célèbres comme La traversée de Paris, avec des flics au service de l'occupant, aux mémoires de syndicaliste, comme ceux de Bernard Deleplace, sans oublier les romans qui ont façonné l'image du policier.
Ce travail monumental qui se lit comme une chronique s'inscrit dans la continuité des travaux de Christian Chevandier. Ce qui intéresse cet historien, c'est le monde du travail et des politiques publiques qu'il explore méticuleusement depuis maintenant une quinzaine d'années. Après les hôpitaux, les usines, les chemins de fer et les cimetières, il ausculte avec la même rigueur le territoire urbain.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit au travers de ces gardiens de la paix : la ville et ses soubresauts, la ville qui traverse l'histoire, la ville avec ses rafles, comme celle du Vél'd'Hiv, la ville avec ses massacres, comme celui du 17 octobre 1961, la ville et sa contestation, comme en mai 1968, la ville et sa banlieue qui grossit, la ville et sa misère, ses clochards, ses sans-abri, la ville avec ses crimes, ses douleurs et sa solidarité aussi.
De tout cela, les gardiens de la paix sont les témoins et les acteurs. Sans parti pris, Christian Chevandier nous propose de mieux comprendre le cas parisien, même si cette police urbaine a ses équivalents dans d'autres grandes métropoles. Récemment, à Rio, la police brésilienne a accru sa présence dans les favelas pour pacifier les lieux et lutter contre le commerce de la drogue.
Avec les méthodes de l'histoire sociale, l'auteur extirpe le gardien de la paix de l'institution policière. Il raconte les 140 ans d'un groupe professionnel et social, son recrutement, sa féminisation, etc. Il en montre les pratiques, les codes et la perception dans la population jusqu'à l'analyse de la caricature donnée par Coluche : "La police, c'est un refuge pour les alcooliques qu'on n'a pas voulu à la SNCF et aux PTT."
Après cette enquête historique et sociale, on ne pourra plus demander "que fait la police ?". On saura même un peu mieux qui elle est.