C’est au tour de François Bégaudeau d’honorer le contrat de la collection "Raconter la vie" dirigée par Pierre Rosanvallon et Pauline Peretz au Seuil. Et en s’attachant à la trajectoire sociale singulière d’Isabelle, infirmière, l’écrivain prend la consigne au pied de la lettre avec précision, efficacité, empathie et ironie. Dans le corps d’une profession d’anonymes, encore majoritairement féminine, Bégaudeau isole un des membres de ce générique "personnel soignant", une travailleuse de la santé, le genre d’héroïne que l’on ne croise pas souvent dans la littérature.
Isabelle est une trentenaire sans enfants, fille aînée d’un maçon mort prématurément, née en banlieue parisienne où elle a fait ses classes avant d’intégrer le centre hospitalier de Figeac dans le Lot : à l’EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), puis au service de chirurgie indifférenciée. La soignante est dans le geste plus que dans la parole. "Plus c’est technique, plus elle s’épanouit", note l’auteur de Deux singes ou ma vie politique (Verticales, 2013) ou du récent D’âne à zèbre (Grasset) dont l’admiration pour ce métier qui s’apparente à une mission est manifeste. Bégaudeau reste au plus près de la pratique, décrivant pointilleusement le quotidien, une journée comme les autres, celle du 11 juin 2013, la tension de son déroulé minute par minute, la routine professionnelle et ses maux. Tout en donnant à voir l’architecture de l’institution, ses mutations structurelles : "non-remplacement des emplois contractuels", grèves où l’on assure néanmoins la continuité du service, mise en place des "deux-huit", ces horaires irréguliers avec alternance de services matin/soir qui perturbent le métabolisme. "Il est heureux que ce système s’applique aux infirmières qui ont sur place de quoi se soigner vite et bien", raille l’écrivain. Isabelle prend soin des autres, mais qui prend soin d’Isabelle ?
V. R.