Elle vient de publier en Espagne un livre-entretien avec Iñigo Errejón, le numéro deux de Podemos, qu’elle montre avec fierté. Elle a de l’énergie, Chantal Mouffe. Et des convictions qui s’expriment dans son regard clair et son discours méthodique. Cette militante féministe est persuadée qu’il faut faire de la politique autrement et que le consensus n’est qu’une illusion, comme elle l’explique dans son nouvel essai traduit en français. Car cette philosophe belge enseigne en Angleterre depuis des années, à l’université de Westminster, où elle dirige le Centre pour l’étude de la démocratie.
Si la politique est aujourd’hui au cœur de son travail, il n’en fut pas toujours ainsi. Après des études de philosophie à Louvain, elle rencontre Louis Althusser à Paris, puis part enseigner l’épistémologie à l’université de Bogota dans les années 1970. Alors que ses amis professent l’histoire et la sociologie, elle explique pendant six ans Bachelard et Canguilhem. "Je n’avais pas envie d’être la spécialiste colombienne en épistémologie." Retour en Europe, donc. Elle choisit Londres, puis la philosophie politique dans la mouvance post-marxiste.
Avec le penseur argentin Ernesto Laclau (1935-2014), qui fut son compagnon, elle publie en 1985 Hegemony and socialist strategy (traduit en 2009, Hégémonie et stratégie socialiste : vers une politique démocratique radicale). Ce sera la base de son travail théorique. Depuis, elle développe de livre en livre une réflexion sur ce qu’elle nomme l’agonisme. "C’est une autre forme de l’antagonisme qui reconnaît que les adversaires, et non plus les ennemis, ont des droits et partagent le même espace symbolique." Pour Chantal Mouffe, il faut donner au conflit la possibilité de s’exprimer. "On a pensé la fin de la politique comme on a pensé la fin de l’Histoire, on considérant qu’il n’y avait pas d’autre modèle possible. C’est une erreur. Les passions ne peuvent plus se mobiliser. La meilleure façon pour cela, c’est l’agonisme. Sinon, ces passions s’expriment autrement, quelquefois violemment, notamment dans le terrorisme."
Consensus conflictuel
En pleine crise européenne des migrants, elle revient aussi sur l’idée de frontière. "Les frontières ne mettent pas en cause la démocratie. Elles nous obligent au contraire à construire et à définir ce que nous entendons par le "nous/eux". C’est pourquoi ma recherche a pour point de départ le constat de notre incapacité à penser politiquement les problèmes auxquels nos sociétés font face." En voulant réhabiliter les affects en politique, elle souhaite voir se développer une autre forme de société. "Je défends un consensus conflictuel." Pas sûr qu’elle soit invitée à l’Elysée. Laurent Lemire
Chantal Mouffe, L’illusion du consensus, Albin Michel. Traduit de l’anglais par Pauline Colonna d’Istria. Prix : 18 euros ; 170 p. Sortie : 7 avril. ISBN : 978-2-226-31493-2