Qu’entend-on par Lumières du Moyen Age ? Sans doute pas ce qui fut une révolution dans la pensée du XVIIIe siècle européen. En revanche, Pierre Bouretz estime qu’il a bien existé quelque chose entre l’âge d’or grec et celui des Encyclopédistes. Il revient ainsi sur les considérations de Hegel qui pensait qu’il n’y avait de philosophie qu’élitiste - restreinte selon lui à "un petit nombre d’individus, des peuples particuliers et des périodes particulières" - et que la pensée médiévale - notamment arabe et juive - se limitait à des commentaires d’Aristote.

Dans cet essai destiné à un public ciblé, ce directeur d’études à l’EHESS montre qu’il y eut une tentative de "philosophie populaire" autour de Fârâbî et surtout du rabin andalou Maïmonide. C’est ce "moment Maïmonide", une "figure originale du philosophe, ni encore ancien ni déjà moderne, mais décidé à faire entrer petit à petit un peu de philosophie sur la place publique", qu’il examine dans le détail autour de son livre intitulé le Guide des perplexes (connu aussi sous le titre Le guide des égarés).

Le fait que Maïmonide ait défendu une approche populaire de la philosophie n’en fait pas une sorte de Michel Onfray du XIIe siècle. Le populaire en question consiste à descendre quelques marches et à sortir la pensée des officines doctorales où elles sont confinées et bien souvent fermées par le pouvoir politique et la théologie.

Au travers de ce projet ambitieux qui cherche à tisser un lien entre éducation et art d’argumenter, on comprend ce que Pierre Bouretz entend par Lumières du Moyen Age. Maïmonide est patient avec les ignorants et dur avec ceux qui se prétendent savants. En fait, il aime les "perplexes" qui se situent entre les deux. C’est pour ces sceptiques qu’il écrit et enseigne.

En 2006, Pierre Bouretz posait la question Qu’appelle-t-on philosopher ? (Gallimard). Il poursuit sa démarche en se demandant Pour qui philosopher ?. Son essai copieux - mais la moitié est constituée de notes - révèle un portrait surprenant de Maïmonide en philosophe qui se pose comme un homme qui ne voit jamais la lumière en face, à la différence d’un prophète, et qui doit donc guider son lecteur en le rassurant. L. L.