15 janvier > Autobiographie France

A l’instar de Loti ou de Gide - deux références majeures en la matière -, tenir son journal de nos jours où tout va si vite et si mal, ressortit à la fois, pour un écrivain, à la gageure et à l’acte de résistance. Une attitude qui convient bien à Daniel Rondeau, néo-barrésien gaulliste, chrétien fervent qui vit les valeurs de sa foi, homme et écrivain engagé à la façon d’un Malraux. Par exemple, patriote intransigeant, notre ami, qui a fréquenté bien des puissants de tous bords, français et étrangers, s’est toujours refusé à rencontrer François Mitterrand, à qui il n’a jamais pardonné Vichy, la francisque, Bousquet et Papon.

Mais, à la différence de son maître Malraux, lequel ne professait que mépris pour la biographie, qu’il appelait « ce misérable petit tas de secrets », et a fortiori pour l’autobiographie, Rondeau consigne dans son Journal ce qui lui paraît, dans sa vie, le plus intéressant, et mérite de laisser trace : événements, rencontres, voyages, combats, lectures, propos, ou simples bonheurs de la vie quotidienne. Comme les vins, les havanes, la boxe ou les bains de mer, qu’il affectionne et qui lui donnent sans doute une partie de sa formidable énergie.

Il y a dans cette entreprise mémorielle monumentale - quoique amputé des années 2004, 2005 et 2006, dont le texte est perdu, le volume fait près de 1 000 pages, de septembre 1991 au tout début de 2013, histoire de montrer que le chantier continue - un mélange de culot et d’ingénuité, mais servi par un style impeccable, une acuité du regard et de l’analyse jamais pris en défaut. Et puis, Rondeau a vécu des expériences exceptionnelles, mobilisant en faveur de la paix au Liban ou en ex-Yougoslavie, ou du dialogue Nord-Sud lorsqu’il était ambassadeur, à Malte puis à l’Unesco (de 2008 à 2012). Comme les chats, il a vécu plusieurs vies : militant politique d’extrême gauche, journaliste, éditeur, diplomate. Ecrivain, surtout et avant tout, auteur d’une œuvre aussi vaste que diverse : romans, essais, et même un coup de main aux mémoires de Johnny Hallyday, un ami de longue date. Récompensé de quelques prix, son travail devrait bien lui valoir un jour un fauteuil à l’Académie française. C’est l’un des nombreux fils rouges de son livre.

Ce qui frappe, chez Daniel Rondeau, c’est son sens de l’amitié, de la « petite bande », comme disaient les Verdurin. Avec de belles fidélités : Philippe Noiret, Dominique de Villepin ou Roger Stéphane, peut-être le plus cher à son cœur, avec qui il a signé Des hommes libres : la France libre par ceux qui l’ont faite (Grasset, 1997). Stéphane, ami de Malraux, bretteur brillant et désespéré, qui s’est suicidé en 1994. Il y a dans ces pages, c’est inévitable, pas mal de « chers disparus », à commencer par la mère tendrement aimée, qui s’est éteinte il y a un peu plus d’un an.

Pour mémoire et in memoriam, Vingt ans et plus est un livre riche, foisonnant, difficile à synthétiser, une espèce de long fleuve intranquille où le lecteur prend, à se laisser emporter, un plaisir aussi singulier que profond.

Jean-Claude Perrier

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