19 janvier > Récit illustré Chine > Rao Pingru

C’est un livre unique, tant par son projet, sa forme, la personnalité de son auteur et la qualité de son rendu. En 2008, à la mort de sa femme, Mao Meitang, l’amour de toute sa vie, de trois ans sa cadette, avec qui il avait traversé d’innombrables aventures et épreuves (dont vingt-deux ans de séparation, de 1958 à 1980, lorsqu’il fut envoyé en camp de travail en raison de ses "origines de classe"), Rao Pingru, né en 1922 à Nancheng, dans le Jiangxi, au sud de la Chine, s’est improvisé écrivain, afin de rédiger le récit de leurs existences, de dédier à la mémoire de son épouse chérie une espèce d’ex-voto. Mais à sa façon : modeste, amusée, extrêmement réaliste et illustrée. Dès 2004, alors que Meitang était déjà gravement malade, usée par les souffrances, les privations et les chagrins, Rao s’était mis sérieusement au dessin. Voici donc Notre histoire, son récit autobiographique, publié en Chine chez Guangxi Normal University Press en 2013, très remarqué là-bas, semble-t-il. En cours de traduction dans le monde entier, il paraît tout d’abord en français.

Issu d’une famille bourgeoise de lettrés, magistrats et fonctionnaires impériaux, Pingru avait croisé dans son enfance Meitang, fille d’un herboriste réputé, qui travaillait dans la concession française de Hankou. Par goût, le garçon est devenu officier d’artillerie par admiration pour Napoléon. Il a combattu contre les Japonais, jusqu’à leur défaite en 1945, puis contre les communistes de Mao Zedong. Les jeunes gens se sont mariés en 1948. Après la Révolution, Rao essaie de se faire oublier, vivant de petits boulots dont, un temps, la fabrique de nouilles à la découpe : il est beaucoup question de nourriture dans son livre. Mais l’affaire capote et, alors qu’il est devenu comptable et correcteur dans l’édition, à Shanghai, son passé le rattrape : il est envoyé en camp de travail, séparé de sa famille, sauf pour de rares vacances. Meitang refuse de divorcer et lutte pour faire vivre leurs cinq enfants. Elle lui écrit des lettres, à la fois tendres et sérieuses, qui se terminent toutes par "affectueusement". On peut en lire quelques-unes à la fin du livre.

Femme de tête, femme de cœur, sa disparition fut une perte irréparable pour Pingru. Il a pris la plume pour raconter leur histoire exceptionnelle, une espèce de Nous deux encore made in China. J.-C. P.

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