Dans la rencontre romantique, la vraie histoire d'amour, s'insinue l'idée que, même si les amants se sont choisis, c'est une fatalité : ils s'aiment parce qu'ils se plaisent et ils se plaisent parce qu'ils se sont vus grâce à un concours de circonstances tout à fait fortuit - un coup de dé qui a fait sortir le chiffre heureux de leur union. Bref, en amour, pas le choix, ça vous tombe dessus. Ça, c'était avant, avant les sites et applications de rencontre, avant que n'existent ces nouvelles plateformes de sociabilité galante, ces entremetteurs numériques appelés Meetic, Tinder, Happn, AdopteUnMec...

Dans Les nouvelles lois de l'amour, Marie Bergström explore « sexualité, couple et rencontres au temps du numérique », se demandant en quoi les services de mise en relation sur la Toile ont changé le comportement amoureux. Les réseaux sociaux constituent-ils les « nouveaux bals de célibataires » où l'on cherchait un(e) partenaire ? Confirment-ils une tendance - la libéralisation des mœurs - ou métamorphosent-ils Eros en Protée pansexuel accumulant aventures sans lendemain ? La sociologue rappelle que la stabilité demeure le but recherché par la plupart des utilisateurs sondés, même au commencement de leur sexualité : « Il ne s'agit pas là d'une "inconstance" amoureuse comme on veut bien le croire. La vie de couple pour une majorité de jeunes, femmes et hommes compris. » En cela, rien de nouveau sous soleil, les bals, fêtes de village et autres lieux de sociabilité mondaine étaient déjà autant d'occasions de trouver chaussure à son pied. La nouveauté gît dans la discrétion. Les services de rencontre en ligne offrent par le biais de l'anonymat une possibilité de multiplier les expériences incognito, celles-ci s'inscrivent aussi dans l'idée de cheminement : avec la disparition des interdits religieux, et l'opprobre social qui s'attachait alors aux relations hors mariage, ce qui pourrait paraître comme du libertinage n'est qu'une étape du parcours affectif et sexuel : pour savoir si l'on a affaire à la personne idoine, il faut bien pouvoir juger et comparer.

L'enquête est passionnante, qui pointe les inégalités entre sexes (relégation des femmes passé 45 ans) et les disparités sociales (difficulté des jeunes hommes non diplômés), et renverse certaines idées reçues ou « vendues » par la presse, comme celle du jeune cadre urbain célibataire et heureux de l'être : la vie à deux est dans le plan d'une vie réussie.

Le contrôle de la sexualité s'est déplacé. Naguère vertical (Eglise, famille), il est aujourd'hui plus horizontal, il s'est intériorisé : « Les rencontres en ligne illustrent par excellence cette exigence contemporaine qui fait du gouvernement de soi le mode principal de régulation de la sexualité. » Le tableau n'est pas moins cruel, dans cette injonction de réussite dans tous les domaines, si tu es dans la misère sexuelle, c'est ta faute !