C’est l’histoire, racontée par Jean-Marie Gourio à la première personne mais dont on espère qu’elle n’est pas trop autobiographique, d’un écrivain qui n’arrive pas à écrire le livre promis à son éditeur. Et lorsque celui-ci s’en enquiert, le susdit, avec une parfaite mauvaise foi, l’engueule au lieu de faire amende honorable. Il faut dire que cet auteur est un poivrot, une éponge, un tonneau sans fond, et que son éthylisme est sans doute inversement proportionnel à sa productivité. Lorsqu’il ne se mure pas derrière quelques exemples de picoleurs illustres (dans le désordre: Hemingway, Capote, Burroughs, Bukowski, Bacon, Mac Orlan, Rimbaud ou Duras, laquelle revient souvent dans cette affaire), il tresse l’éloge des éditeurs insultés par leurs auteurs - à l’instar de Gaston Gallimard, tête de Turc de Céline, pourtant abstème, ce qui aggrave son cas - et donne raison au sien qui lui a dit: "Vous êtes un chieur."
Ce "chieur", dont la maison devient "un asile […] pour grands anciens", passe "des journées entières en slip" à lire à défaut d’écrire, et se met à avoir des hallucinations, à entendre des voix. Il se rêve en fils de Marguerite Duras, encore elle, se dispute avec Confucius, imagine les titres, les incipit des romans qu’il n’écrira jamais. Naturellement, dans ces conditions, on comprend sa femme Anaïs qui l’a quitté, emmenant leur fille Charlotte.
J’ai soif !… constitue donc le récit d’un livre qui ne s’écrit pas, par un écrivain qui "n’aime que ça, écrire". Et qui ne peut pas. Ça pourrait tourner en rond, s’autodissoudre dans le vinaigre (de vin). Mais, à la fin, tandis qu’il déguste dans sa cuisine des raviolis en conserve froids à même la boîte, en tête-à-tête avec une bouteille de pinard, c’est la lecture du Journal du vieux Léautaud qui le décoince, et le protégera désormais contre ses démons. Il prend un carnet et commence à noter les fragments, aphorismes et citations (nombreuses) qui formeront son livre. On n’est pas si loin des fameuses Brèves de comptoir qui ont fait la gloire de Gourio.
Ce livre-ci, à peine un roman, qui tangue entre l’humour noir et le pathétique, ciselé comme un bijou, est l’un des plus atypiques et des plus séduisants de la rentrée, un véritable chant d’amour fou à la littérature. J.-C. P.