Beau comme l'antique. À bientôt 80 ans, Pierre Michon, l'ermite de Châtelus-le-Marcheix (Creuse), qui vit toujours dans sa ferme familiale du hameau des Cards, est l'un des plus importants écrivains de notre temps. Avec une œuvre assez rare (une vingtaine de livres, tous titres confondus, depuis ses débuts tardifs en littérature en 1984), une exigence qui n'exclut pas le succès populaire (Vies minuscules, Gallimard, 1984 ; Le roi vient quand il veut, Albin Michel, 2007 ; Les onze, Verdier, 2009, Grand Prix du roman de l'Académie française), et un statut de vache sacrée nobélisable. Il en est fier, affirmant ainsi avec aplomb dans « Hoplite », le premier des quatorze textes qui, presque comme des nouvelles, composent J'écris l'Iliade : « Je devais devenir Pierre Michon et n'avais pas de temps à perdre. » L'histoire se passe dans un train, alors qu'il se rendait à Lyon, à 26 ans, pour faire ce qu'on appelait alors les « trois jours » en vue du service militaire. Michon sera réformé définitif. En chemin, il aura vécu une expérience déterminante : il aura fait l'amour sans un mot, dans un compartiment, avec une séduisante inconnue, et subi une véritable fascination pour la puissante locomotive à vapeur qui tirait son train.
Malgré tout, Pierre Michon se moque aussi parfois de lui-même. Ainsi, il reproche à ses éditeurs de publier ses « croûtes » et de refuser ses « chefs-d'œuvre », et à la critique d'encenser, parmi ses livres, ceux qu'il ne faudrait pas. Dans ce nouvel ouvrage, il mêle l'autofiction contée avec un humour jubilatoire et pas mal d'autodérision. Comme dans « La bataille d'Eryx », où il revit un mois en Sicile en compagnie de La Vire, sa maîtresse, une femme dominatrice, qui finira par rompre. Ou encore dans J'écris l'Iliade, récit apocalyptique d'un autodafé de sa gigantesque bibliothèque, où il brûle, dans une espèce de folie, de transe chamanique, tous ses auteurs fétiches, ses précieux livres, même ses « Pléiade », afin de faire table rase et de revenir à l'essence même, à ses yeux, de la littérature, l'aède légendaire par qui tout a commencé : Homère. Et c'est encore Homère qui, en juin 323 av. J.-C., apparaît, à Babylone, devant un Alexandre le Grand moribond, afin de dialoguer avec lui à la manière des philosophes. Le poète sait la fascination du jeune roi pour son œuvre, l'Iliade surtout, dont une copie l'avait accompagné dans toutes ses conquêtes. Il sait aussi qu'il se rêvait en nouvel Achille, demi-dieu cependant mortel. Ne reculant pas devant l'anachronisme, Homère dit de Philippe II de Macédoine, le père d'Alexandre, qu'il était « une tornade shakespearienne », et, à la fin, affirme au conquérant de la moitié du monde connu, qui, à 32 ans, vit ses derniers instants : « Tu es le dernier dieu que j'ai inventé. »
C'est beau comme l'antique, presque malrucien, et cette foi absolue en la littérature, quitte à s'en gausser parfois, est assez admirable.
J'écris l'Iliade
Gallimard
Tirage: 18 000 ex.
Prix: 21 € ; 272 p.
ISBN: 9782070128075