La mort sacrificielle. Celui qui témoigne de la vérité par son sacrifice. Les auteurs chrétiens définissaient ainsi le martyr - étymologiquement le « témoin » - lui donnant cette connotation religieuse reprise par Chateaubriand dans son livre Les martyrs en 1809. Trente ans plus tard, le terme en vient à désigner la personne qui meurt ou souffre pour une cause et non plus pour sa foi. Comment est-on passé du théologique au politique ? C'est le sujet du bel essai de Pierre-Marie Delpu. En prenant appui sur des exemples en France et à l'étranger, cet historien des révolutions sud-européennes du XIXe siècle met en évidence les logiques à l'œuvre dans la construction sociale, politique et spirituelle du « sacrifice utile ». Son ouvrage est passionnant car on voit comment, aujourd'hui, les deux domaines sacré et profane se rejoignent, notamment à travers les actions terroristes. Hugo parlait d'une « torture qui sacre », Delpu évoque la « mort édifiante ».
C'est dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, dans la ferveur révolutionnaire, que la transposition du martyr dans l'espace séculier s'opère. L'héroïsme jusqu'alors relégué dans la sphère plutôt aristocratique se démocratise. Le premier martyr de la Révolution française, Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, est ainsi inhumé au Panthéon après son assassinat en 1793. La même année, Charlotte Corday, après avoir poignardé Marat, devient, elle aussi, une figure de ces nouveaux suppliciés laïcs. On retrouve des cas similaires chez les patriotes napolitains ou dans le Piémont avec le même discours sur la violence, l'excès, l'exemplarité, la cruauté contre la vertu, reprenant parfois les marques corporelles du sacrifice christique. Au XIXe siècle, on parle des martyrs du travail, du devoir, de la science. Et que dire des enfants martyrs ? La dimension victimaire se met en place avec une « image de la souffrance » signalant un dysfonctionnement de la société. C'est ainsi qu'apparaissent les martyrs collectifs avec les « damnés de la Terre » à l'ère des masses et du marxisme.
Au début du XXIe siècle, un néologisme surgit dans le monde arabo-musulman avec le verbe istishadi, c'est-à-dire « choisir de devenir martyr ». Le martyr ne subit plus, il agit. Le témoin devient acteur. En réalité, malgré la sécularisation de la plupart des États, la religion n'est jamais vraiment sortie des esprits. Différents régimes ont repris à leur compte cette figure sacrée que Pierre-Marie Delpu considère désormais comme « une catégorie transversale du champ politique ». Elle se manifeste à travers l'exemplarité des personnalités mises en avant à la suite d'une mort significative, dans des circonstances tragiques. L'historien revient sur ces nouveaux martyrs en Europe. Il met en exergue les discours édifiants, les hagiographies et les déformations de la réalité au service des causes auxquelles ces victimes sont rattachées. Par son étude, Pierre-Marie Chenu aide à saisir ce moment du « retour du religieux » à travers une de ses incarnations les plus fortes.
Les nouveaux martyrs. XVIIIe-XXe siècle
Passés/Composés
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 23 € ; 336 p.
ISBN: 9782379338816