Disparition

Pierre Guyotat s'en va

Pierre Guyotat, écrivain et dramaturge français. Prix Décembre en 2006, Prix de la Bibliothèque nationale de France pour l'ensemble de son œuvre en 2010, Prix Médicis et prix Femina spécial pour l'ensemble de son œuvre en 2018. - Photo JF PACA

Pierre Guyotat s'en va

L'immense écrivain, primé par le Décembre, le Médicis, le Femina et la BNF, est mort à 80 ans.

Par Vincy Thomas
avec afp Créé le 07.02.2020 à 21h00

L’écrivain Pierre Guyotat, lauréat du prix Décembre en 2006 pour Coma (Mercrure de France), prix Médicis en 2018 pour Idiotie (Grasset), prix Femina spécial et prix de la langue française pour l'ensemble de son œuvre la même année, et distingué par la Bibliothèque nationale de France en 2010, est mort dans la nuit du jeudi 6 au vendredi 7 février à l’âge de 80 ans, a annoncé sa famille à l’Agence France-Presse (AFP).

Préférant la discrétion à la lumière, l’écrivain restera comme l’auteur de deux œuvres majeures de la littérature française du XXe siècle : Tombeau pour cinq cent mille soldats (1967), peut-être le plus grand livre sur la guerre d’Algérie, et Eden, Eden, Eden (1970), livre jugé pornographique par les autorités françaises de l’époque, interdit de publicité, d’affichage et de vente aux mineurs. Les deux ouvrages sont parus chez Gallimard.

Né le 9 janvier 1940, dans la Loire, fils d’un père médecin de montagne et d’une mère polonaise, il a commencé à écrire en 1954. Peu après la mort de sa mère en 1958, il a quitté sa famille pour Paris.  Appelé en Algérie en 1960, Pierre Guyotat est arrêté début 1962, en Grande Kabylie, par la Sécurité militaire et inculpé d'atteinte au moral de l'armée, de complicité de désertion et de possession de textes interdits. Il subit l0 jours d'interrogatoire et 3 mois de cachot au secret avant d'être muté disciplinairement dans l'Est algérien. Il ne s'en remettra jamais.

Le scandale du Médicis

En 1970, ce deuxième livre avait manqué d’une voix le prix Médicis. Furieux de ce rejet, Claude Simon, futur Prix Nobel de littérature, avait démissionné du jury, provoquant un immense scandale. L’interdiction du livre ne fut levée qu’en 1981.   M. Guyotat prit sa revanche quarante-huit ans plus tard avec Idiotie. Dans ce livre, il revenait sur l’avant-Tombeau pour cinq cent mille soldats, extraordinaire livre de l’horreur et de la violence, inspiré à l’auteur par son expérience de la guerre d’Algérie. Evoquant l’entrée dans l’âge adulte de Guyotat, entre 1958 et 1962, le récit autobiographique se déroule essentiellement en Algérie, guerre pour laquelle le père de l’écrivain lui avait obtenu un sursis, mais à laquelle le jeune homme avait décidé de participer en soldat. Le livre raconte l’époque où il commence à se faire publier (Sur un cheval, Seuil, 1961), et ses écrits lui valent de longues séances d’interrogation, ainsi que le cachot, au secret, pendant trois mois, pour « atteinte au moral de l’armée ».

Une œuvre exigeante

Idiotie, telle une œuvre testamentaire, permet de comprendre le parcours personnel et littéraire de l'écrivain, son rapport au colonialisme, à la pornographie, à l’abjection et à l'humiliation. La plupart des livres de Pierre Guyotat (romans, récits, poèmes et essais…) sont profondément marqués par son expérience traumatisante de la guerre d’Algérie, ses souvenirs jusqu'à l'enfance et ses doutes sur les dogmatiques et idéologues.

Dans Coma, il écrivait : "Ma recherche de l’absolu aboutit à ceci que j’en espère toujours de plus absolu encore. Tous les absolus créés par l’homme, auxquels j’ai souscrit, sont dépouillés par moi de leur valeur d’absolu en regard d’autres qui ne nous sont pas encore connus." Il se confrontait au réel, qu'il qualifiait d'extra-textuel: les stupéfiants évidemment, mais aussi les back-rooms et les pissotières pour ses rencontres homosexuelles. Il avait l'écriture crue.

Ce virtuose des mots, exigeant et précis, dont la langue était riche, belle, dramatique et parfois lyrique, a publié depuis 1961 neuf romans (Ashby, au Seuil, Prostitution, Progénitures, Joyeux animaux de la misère et sa suite Par la main dans les enfers, chez Gallimard), un recueil de poème bilingue avec Sam Francis (Wanted Female, Lapis Press), une pièce de théâtre (Bond en avant) et quatre récits autobiographiques (à Coma et Idiotie, s'ajoutent Formation et Arrière-fond chez Gallimard).

La vie avant tout

Son œuvre est traduite dans plusieurs langues, mais elle fait, surtout, l'objet de nombreux essais, dont Pierre Guyotat politique. Mesurer la vie à l'aune de l'histoire de Julien Lefort-Favreau, paru chez Lux en 2018.

En 2004, Pierre Guyotat a fait don de ses archives à la Bibliothèque nationale de France. De 2001 à 2004, Pierre Guyotat a aussi été professeur associé à l'Institut d'études européennes de l'université de Paris 8. Par ailleurs, depuis quelques années, il avait repris une activité graphique, exposant ses dessins dans des galeries du monde entier.

Il clamait son amour pour la vie, "une continuelle invention de plaisirs nouveaux", prêt à la traverser sur un cheval, à défier ses démons, à écrire pour être en harmonie avec la nature, rester dans l'axe central de la terre, lier le corps et l'esprit.

Ainsi: "Écrivant, je suis dans l’axe central de la Terre, mon existence d’ « humble laboureur de la langue » est fichée dans cet axe, dans l’axe de ce mouvement, plus grandiose que le seul mouvement humain : le mouvement planétaire : le roulement de la planète, avec son soleil et ses astres : ainsi d’échapper même à la sensation de mort. "

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