Conjointement, Fayard, le Musée Picasso-Paris et le Musée national de l'Histoire de l'immigration ont publié le 3 novembre l'épais catalogue de l'exposition, sous la direction de l'essayiste. A travers ces deux ouvrages et cette exposition, qui retrace la vie de Picasso, de son enfance à Malaga à son crépuscule dans le Midi de la France, Annie Cohen-Solal démontre le parcours du combattant de l'artiste pour devenir Français.
Tout a été compliqué pour celui qui fut fiché comme "anarchiste surveillé" en 1901, lors de son dexième voyage en France. Pendant quarante ans, il fut considéré par les autorités avec suspicion. Etranger, homme de gauche, artiste d’avant-garde, il ne fut jamais Français, ni académique, ni membre de l'élite. Plusieurs épisodes dans sa vie l'ont conduit sur la voie de l'autonomie, se méfiant de l'administration.
Le 3 avril 1940, il avait déposé une demande de naturalisation, en plus d'une déclaration sur l'honneur de "ne pas être juif". Elle lui fut refusée. Malgré ses amitiés puissantes, ses appuis et sa notoriété, Picasso, exposé partout, déjà riche de son travail, était un génie mais surtout un "métèque". Le 25 mai 1940, un fonctionnaire des Renseignements Généraux rédige un rapport venimeux de quatre pages contre l’artiste et enterre son dossier. Il reprend en partie les allégations du premier rapport de police contre Picasso (18 juin 1901), affirmant que « cet étranger n’a aucun titre pour obtenir la naturalisation » et qu’il doit « être considéré comme très suspect au point de vue national ».
Exilé perpétuel
De nombreux courriers et formulaires sont exposés, révélant ainsi la froideur de l'administration française qui veut faire entrer dans des cases préconçues un artiste exceptionnel et dérangeant. Le fichage de la police française est en soi un modèle du genre, épiant puis classant chaque étranger. Jusqu'à prendre l'empreinte d'une main du peintre et sculpteur, que l'on peut observer dans une vitrine. Engagé, communiste, pacifiste, l'exposition et les livres dévoilent un Picasso voyageur, entre Paris, la région parisienne, la Normandie, la côte Atlantique et la Côte d'Azur. Avec des permissions de déplacement parfois très contrôlées. On trouve aussi, au milieu d'œuvres parfois méconnues représentant Montmartre, des villes françaises ou des citoyens, des amis (dont Apollinaire) et des saltimbanques. La croix de Lorraine et les drapeaux français s'immiscent dans certaines de ses toiles.
Il a acquitté sans sourciller l'Impôt de solidarité nationale à la sortie de la guerre. Mais, jusqu’en 1949, son œuvre, pourtant célébrée dans le monde occidental, ne comprenait que deux tableaux dans les collections françaises. Il faudra attendre le milieu des années 1950 pour que les musées français commencent à le célébrer.
Il ne renouvela jamais sa demande de naturalisation, même lorsque le bras droit de De Gaulle, lui offre la nationalité. Il ne répond pas au courier. Internationaliste, choisissant d'être étranger en France, sa patrie d'élection, il se soucie surtout de ses enfants et de son héritage. La République, par une loi d'André Malraux, se rattrapera en permettant les dations, qui seront à l'origine du Musée national Picasso-Paris. De quoi enraciner en France cet exilé perpétuel.