Fabrice Midal- Photo PHILIPPE MATSAS/FLAMMARION

Derrière ses lunettes rondes, on voit le regard gourmand d'un homme curieux qui ne s'ennuie jamais. L'auteur de La tendresse du monde est philosophe, éditeur et professeur de méditation. Il s'intéresse à tellement de choses qu'on se demande ce qui ne l'intéresse pas. Y aurait-il de la dispersion chez ce jeune quadra né dans une famille juive ashkénaze et converti au bouddhisme ? Au contraire, tout cela relève d'une cohérence, d'un choix de vie. Des parents qui ont fui le nazisme via la Suisse, des études de philosophie à Paris sans grande conviction jusqu'à une rencontre déterminante avec un professeur pas comme les autres : François Fédier. «Avec lui, j'ai compris que la philosophie parlait de notre monde et qu'elle n'était pas qu'un discours universitaire." François Fédier - dont il a édité une partie des cours de khâgne dans la collection Agora chez Pocket - n'est pourtant pas un marginal. Mais ce heideggérien qui présente Heidegger comme une sorte de Matisse de la philosophie reste peu connu. C'est toutefois grâce à lui que Fabrice Midal continue son parcours philosophique jusqu'à un doctorat à la Sorbonne avec une thèse sur le sacré dans l'art moderne.

Directeur de la collection "L'esprit d'ouverture" chez Belfond - c'est lui qui a fait découvrir l'Allemand Richard David Precht aux lecteurs français -, Fabrice Midal reste convaincu d'une chose : puisque le monde est dur, il faut accepter de l'affronter par notre vulnérabilité. Une sorte de position zen qui n'a rien à voir avec les conseils de bonheur donnés par André Comte-Sponville ou Luc Ferry. "Je ne suis pas un donneur de leçon. Je souhaite simplement que les gens puissent se sentir vraiment dans le monde qui les entoure."

A côté de son manuel best-seller (Pratique de la méditation, Le Livre de poche, 2012), Fabrice Midal a publié la même année dans la collection "La nuit surveillée" au Cerf ses Conférences de Tokyo sur Heidegger et la pensée bouddhique. Une façon de montrer la gamme de ses interventions. Cette « tendresse du monde » s'impose pour lui comme la suite logique d'Auschwitz : l'impossible regard (Seuil, 2012). Il y expliquait pourquoi il n'avait pu se rendre en Pologne pour voir ce qu'il restait de ce camp d'extermination, pourquoi la Shoah est un trou, un abîme dans sa propre histoire.

Face à la dureté du système du désastre, Fabrice Midal fait entendre la voix de Nelly Sachs et de Paul Celan. Dans La tendresse du monde, il convoque Proust, Rilke et surtout Kafka dont il propose une lecture nouvelle. "Kafka est d'une lucidité que quasi personne n'est prêt à accepter. Nous préférons des auteurs qui nous distraient et nous font rêver."

Vulnérabilité

Certes, du rêve, il en faut, Fabrice Midal n'en disconvient pas. Mais il souhaite que nous puissions aussi regarder avec lucidité la catastrophe de notre époque où l'économique a remplacé le politique, sans humour grinçant, sans ironie, sans égoïsme. "Comment les gens peuvent-ils faire confiance dans la lumière qui est en eux, contre le cynisme ambiant et le confort qui rend inhumain ?"

Pour comprendre tout cela, le fondateur de l'Ecole occidentale de méditation a un remède. "Mais attention, cela n'a rien à voir avec cette technique qui est le plus souvent présentée comme un outil un peu niais de gestion du stress !" Pour lui, le souci de soulager est un fondement du lien social. Il y ajoute tout aussi sûrement la lecture des grands auteurs. «La poésie nous aide à traverser l'effroi de notre temps parce que ce sont les poètes qui ont inventé la modernité. Nous devons ce mot à Hölderlin, à Baudelaire, à Rimbaud, pas aux philosophes. C'est pourquoi, si l'on s'en tient à leur définition, notre temps n'est pas moderne, il est archaïque."

Pour guérir de la douleur, il faut entrer en rapport avec elle. C'est tout le sens de sa démarche de philosophe zen, dans les livres qu'il écrit ou ceux qu'il édite. Il veut montrer un monde blessé avec lequel nous n'échangeons plus. «Il n'y a pas d'autre possibilité que la vulnérabilité, ou alors nous passons à côté de l'existence humaine."

Fabrice Midal tiendrait-il un discours de religieux ? Il s'en défend. "Le prêtre, quelle que soit son Eglise, dit : Dieu va vous sauver. Moi je dis : vous êtes déjà sauvé ! Faites seulement confiance à vous-mêmes. On n'a pas voulu voir la révolution à laquelle nous invitait Rimbaud. Une saison en enfer, ce n'est pas qu'un titre, qu'un recueil de poèmes, mais la seule façon possible de traverser le temps."

La tendresse du monde, Fabrice Midal, Flammarion, 200 p., 17 euros, ISBN : 978-2-08-128059-5, en librairie le 30 janvier.

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