Les écrivains sont souvent les premiers à percevoir les mutations inquiétantes d’une société. A l’heure où le monde semble vaciller, il est intéressant de se pencher sur une voix surgie du passé. Hanan Ayalti a été un "témoin privilégié tout autant qu’une victime de la furie des hommes, il a transformé ses épreuves, ses survies, en autant de matière littéraire", explique l’éditeur Gilles Rozier, dans sa préface à Attendez-moi métro République.
Son existence intense se confond avec celle d’un siècle turbulent. Elle débute en Pologne, en 1910. L’auteur en herbe y bénéficie d’une éducation religieuse en yiddish, mais les Lumières vont bientôt l’extraire de son milieu. Idéaliste, Ayalti fait partie des pionniers de Palestine. Cependant la Terre promise le déçoit. Direction Paris, où cet ami d’Hannah Arendt devient journaliste. L’expérience de la guerre d’Espagne s’ajoute à celle d’une France occupée. L’étau se ressert sur les Juifs, incitant Hanan Ayalti à fuir en Uruguay, en 1942. C’est là qu’il écrit ce roman, qui sert de révélateur aux lecteurs sud-américains.
Paris en est le centre névralgique. Grouillant de vie, "la ville bouillonnait de printemps et d’espérances" pour les immigrés. Parmi eux, les Sokolovski. Ils laissent derrière eux "le pays" (la Pologne), où tout était régi par la religion. Le goût du travail nourrit leur désir d’ascension sociale. Une intégration réussie pour leur fille, qui gravite dans le milieu artistique, et leur fils Jacques, véritable héros du livre. Contrairement à son père, il rompt avec la tradition en optant pour la révolution sociopolitique.
Sa lutte communiste prend un autre tournant quand Paris se retrouve "engloutie dans le Royaume des Ténèbres", l’Occupation. Le frondeur pacifique entre alors en résistance armée. "Lui ne considérait pas les événements d’un point de vue juif, mais du point de vue de l’humanité." Le danger guette toute la famille, mais Jacques se sent pousser des ailes grâce à Germaine, la femme interdite. "Le plaisir de l’amour a toujours l’attrait d’un fruit défendu." De par son souffle très romanesque, ce page-turner nous emporte dans le tourbillon de l’histoire, tout en nous rappelant qu’elle est faite de courage et de lâcheté, de petites gens et de grands sentiments. Kerenn Elkaïm
