Lorsque paraîtront ces lignes, Paolo Rumiz sera déjà reparti. Depuis 2001, il effectue chaque année, pour le prestigieux quotidien de Rome La Repubblica, un grand voyage, publié ensuite en feuilleton de l’été, avec succès et pour la plus grande joie de ses lecteurs. "Je reçois même pas mal de courrier ", s’amuse-t-il. Ensuite, le texte est repris en volume. C’est ainsi que sont nés, entre autres, ses récits de voyages traduits en français, Aux frontières de l’Europe (Hoëbeke, 2011, Folio, 2012), L’ombre d’Hannibal (Hoëbeke, 2012, Folio, 2013), Pô, le roman d’un fleuve (Hoëbeke, 2014). Et Le phare, voyage immobile, qui paraît prochainement. Mais celui-là, comme son titre l’indique, est un peu à part.

"C’était l’année dernière, raconte Rumiz. Je revenais de tourner dix documentaires à travers toute l’Europe sur les principaux sites de la guerre de 14, y compris ceux, moins connus, en Orient. Lorsque La Repubblica m’a demandé ce que je ferais comme feuilleton, j’ai voulu refuser. J’étais épuisé. Puis, j’ai eu cette idée de partir trois semaines dans le dernier phare au centre de l’Adriatique, entre les Pouilles et la Dalmatie. " Après l’avoir tenu secret afin d’éviter que le lieu ne soit trop visité et dénaturé par le tourisme, il en révèle le nom : Pelagosa. L’expérience, au début, s’apparente à une retraite dans un monastère. L’écrivain emporte beaucoup de livres, afin de combler l’ennui redouté, et quelques cahiers seulement, pour prendre ses notes, craignant de ne pas trouver assez de matière à feuilleton. Et, en fait, c’est tout le contraire : "Je n’ai lu qu’un seul livre, Hérodote, et j’ai manqué de papier pour raconter tout ce que j’ai vécu, observé !" Le résultat est un livre superbe, inspiré, dépouillé.

De Trieste à Vienne à vélo. Paolo Rumiz est à la fois un formidable conteur, un esthète, un philosophe du voyage, ce "métier " qu’il est si heureux d’exercer vraiment depuis 1998, l’année de son voyage de Trieste à Vienne, à vélo, avec son fils Michele. Alors âgé de 16 ans, le garçon venait de voir son meilleur copain se suicider. "Michele avait peur de me perdre, explique le père. Alors, le vieux loup et le petit loup, le voyage nous a rapprochés. " C’était un peu comme une initiation, une nouvelle phase dans sa vie. Auparavant, le journalisme, son métier premier - d’abord à Il Piccolo, "petit journal de Trieste, mais beaucoup lu, parce que cette ville est un sismographe unique au monde pour l’est de l’Europe ", puis à La Repubblica -, l’avait absorbé. Il a sillonné le monde en furie, ex-Yougoslavie, Afghanistan, mais "faisant le journaliste seulement pour avoir l’excuse de voyager ", dit-il. Aujourd’hui, il n’a plus besoin d’excuse. Et la via Appia l’attend, à pied, de Rome à Brindisi. "Ce sera mon dernier voyage. " Ses lecteurs espèrent que non.

Jean-Claude Perrier

Les dernières
actualités