René Laporte fait partie de ces écrivains des années 1950 complètement - et parfois injustement - balayés par la vague du nouveau roman, que le Dilettante se plaît à faire régulièrement redécouvrir au lecteur d'aujourd'hui. Laporte le mérite, à plusieurs titres.
D'abord parce qu'il a joué un rôle littéraire non négligeable. Né à Toulouse en 1905, fou de poésie, il est le fondateur, en 1924, de la revue Les Cahiers libres, puis de la maison d'édition éponyme, où il publiera notamment ses amis surréalistes. Ensuite, pendant la guerre, il dirigera à Marseille, avec Léon Pierre-Quint, Le Sagittaire. Laporte, combattant antifasciste dès 1936, résistant, travaillera dans l'information, de la Libération jusqu'à sa mort accidentelle et prématurée en 1954.
Quant à son oeuvre, c'est avant tout celle d'un poète, même s'il s'est fait connaître par ses romans. Notamment Les chasses de novembre, paru chez Denoël en 1936, qui obtint le prix Interallié. Ou encore cet Hôtel de la solitude, écrit en 1942 et éditer en 1944 par René Julliard, qui voulait ainsi, publiant un résistant, faire un peu oublier certaines complaisances durant l'Occupation. On peut aussi penser que l'éditeur a été sensible au côté "pré-saganien" du roman, ou à sa parenté avec le dandysme désabusé d'un Drieu la Rochelle.
Hôtel de la solitude, c'est l'histoire de Jérôme Bourdaine, un jeune bourgeois désoeuvré et snob qui, fuyant Paris occupé, trouve refuge à l'hôtel de La Turbie, sur les hauteurs de Monte-Carlo. Une espèce de bonbonnière mauresque kitsch et fantôme, vide depuis quinze ans à cause d'une catastrophe. Les tenanciers, les Barca, sont des épaves, qui voient soudain débarquer chez eux des clients ! Jérôme, donc, puis le couple Sernitch. Des gens bizarres, visiblement en fuite. Tandis que le mari disparaît des journées entières pour se livrer à des "affaires" bien mystérieuses, sa femme, la belle Zoya, s'ennuie. Et une femme qui s'ennuie, on le sait depuis Flaubert, est prête à toutes les folies. Comme de répondre à la passion absolue que lui voue aussitôt Jérôme. Même si elle le prévient : il n'est pas question pour elle de quitter son mari, qu'elle n'aime pas d'amour mais pour la sécurité matérielle - précaire - qu'il lui assure. "Ce temps vénéneux empoisonne même l'amour", lui dit-elle à un moment, phrase superbe et terrible. Jérôme comprendra pourquoi, quand il aura appris en quoi consiste le "travail" de Sernitch et après que Zoya lui aura confié sa triste histoire, pourquoi leur amour est impossible. C'est très cérébral, très écrit, dans un style encore surréalisant et chargé en images, surtout au début. Mais, bien vite, Laporte impose ses personnages dans leur décor de rêve et leur huis clos théâtral.
Après la mort de René Laporte, Jacques Prévert, qui fut de ses amis, lui dédia un beau poème, où il disait : "Il n'y a pas d'oubliettes/au château du Roi René." Il y en a, en revanche, en littérature, et le "Roi René" y est enfermé depuis plus d'un demi-siècle. Ouvrons-lui la porte.