"Le premier été, personne ne se connaissait. L’année suivante, nous étions devenus amis pour la vie. A partir de là, je me suis senti tout à fait chez moi. La crique était un univers clos, gai, hospitalier."
Là, c’est Canyelles. Sa crique, ses plages, ses hôtels et pour le narrateur de Costa Brava, le nouveau roman d’Eric Neuhoff, comme un goût de petite éternité. C’étaient les années 1960 (et cela dura longtemps), lorsque le littoral catalan, un taux de change avantageux et le franquisme déjà plus ou moins en phase terminale offrirent à la bourgeoisie provinciale française plus qu’un "sam’suffit" exotique, ce qui lui manquait encore : un horizon. Les parents du héros furent de ceux-là, avec leurs enfants. Une fille, Zoé, qui plus tard, devenue écrivaine, s’efforcera d’oublier Canyelles et un fils (le narrateur, donc), qui sera architecte, n’oubliera rien, regrettera presque tout. Peut-être eût-il fallu ne jamais revenir. Comment s’en empêcher lorsque plusieurs bons prétextes (le faire connaître à leur tour à ses enfants, vendre la maison familiale…) vous y incitent ? Il reviendra. Il retrouvera tout. Même le chagrin. Même les amis, ces Antoine, Charles, Bénédicte ou Daphné (surtout Daphné…) qui lui apparaissent désormais comme derrière le rideau déchiré de leurs rêves enfuis. Et puis, passé la Méditerranée, les fantômes aussi viennent à sa rencontre. A commencer par celui de l’homme qu’il aurait pu être, de la vie qu’il n’a pas vécue.
Voilà longtemps qu’Eric Neuhoff n’avait pas écrit de roman. Ce livre, splendide, comme innervé de tristesse tue, n’en est pas un. C’est une confession qui n’appartient qu’à lui, un album de famille qui pourrait être à tout le monde. Y passent les échos d’une époque, de Citroën SM, de fumeurs et de films de Sautet, qui fut peut-être la dernière à être aimable. A moins qu’elle ne soit seulement la dernière à nous avoir vus jeunes… Olivier Mony