Odile Contat : La prochaine étape est le lancement de l’appel à projet du fonds national pour la science ouverte qui va être publié en octobre prochain. Il est doté d'une enveloppe de 2,6 millions d'euros destinés à soutenir des projets de publication et d'édition scientifique en libre accès dans une perspective de bibliodiversité. Peuvent répondre à cet appel des infrastructures, des plateformes, des éditeurs privés, des éditeurs publics. Nous souhaitons qu'il y ait le plus possible de collaborations, de projets mutualisés, car construire à plusieurs, c'est plus efficace. Ce sont des financements d'impulsion, pour des initiatives structurantes et reproductibles à plus grande échelle. A cette enveloppe s'ajoutent 500000 euros qui vont à la plateforme HAL en tant qu’infrastructure nationale pour les archives ouvertes.
Quel est aujourd'hui le degré d'avancement de la science ouverte en France ?
O.C. : Selon le Baromètre de la science ouverte, qui sera publié prochainement, 41 % des publications françaises sont diffusés en accès ouvert. L'objectif est d'atteindre les 100 % ! L'étape suivante est celle de l’ouverture des données. Le processus est entamé mais il est à la fois plus difficile et plus stratégique encore que pour les publications. On est là au cœur de la science ouverte, avec comme enjeu la reproductibilité de la science. Il faut convaincre les chercheurs tout en prenant en compte des différences et spécificités disciplinaires. La ligne de conduite qui sert de cadre aujourd'hui pour l’ouverture des données est "aussi ouvert que possible aussi fermé que nécessaire". Certaines communautés, comme celle des astrophysiciens, sont très mûres, car elles gèrent leurs données depuis plus de 40 ans, d'autres le sont moins. On ne pourra pas tout ouvrir et ce n’est pas forcément le but. Il s’agit plutôt de gérer les données au mieux.
Sur quels leviers peut-on appuyer pour stimuler les données ouvertes ?
O.C. : Il faut montrer aux chercheurs que ce mouvement constitue un bénéfice pour eux. Il faut sensibiliser, montrer à quel point c'est utile de gérer les données, de les décrire correctement, de les associer aux publications. Avoir accès aux données qui ont servi aux publications pour pouvoir rejouer la preuve scientifique, c'est renforcer la qualité de la science, la transparence et les bonnes pratiques. C'est un levier pour la reproductibilité, pour l'éthique. Je pense que les chercheurs sont très sensibles à tout cela.
A-t-on des indicateurs des effets de la science ouverte sur la recherche ou les développements économiques ?
O.C. : Le rapport européen "Cost of not having FAIR research data" datant de mars 2018 montre que le coût de la mauvaise gestion des données de la recherche en Europe représenterait 10 milliards d’euros par an… soit 3% des dépenses de recherche européennes, 4 fois le budget de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Il y a beaucoup de données dans les laboratoires de recherche qui ne sont pas suffisamment gérées et qui risquent de disparaître. C'est l'image de la bibliothèque qui brûle... La préservation des données et leur ouverture permettent de créer un effet cumulatif, et donc des avancées scientifiques, mais aussi des applications industrielles et de l'innovation économique.
Quel est le rôle des bibliothèques universitaires dans ce mouvement ?
O.C. : La science ouverte donne une chance aux bibliothèques de retrouver une place importante dans la recherche scientifique en contribuant à ce processus de la science ouverte qui touche tous les établissements de l'enseignement supérieur et de la recherche. J'ai la conviction que nous, professionnels de la documentation, devons aller vers de nouveaux métiers et que nous avons dans nos compétences de base, description des documents, gestion de référentiels, beaucoup d'outils qui peuvent être mis au service de la gestion des données et des projets de recherche. Il faut que nous arrivions à trouver un positionnement bien clair, en coordination avec beaucoup d'autres acteurs, les chercheurs, les laboratoires, les organismes de recherche, les infrastructures de la recherche, etc. Comme Francis André, ancien chercheur au CNRS, je rêve que le terme de science ouverte devienne un jour obsolète, car la science est, par définition, ouverte.