Borderline. La quarantaine accorte, coprésentatrice de la première matinale télévisée de France, à tu et à toi avec le Tout-Paris, deux beaux enfants, une félicité conjugale prétendument sans tache, connaissant tous les codes de son milieu sans paraître en être jamais tout à fait l'obligée... Léonore de Karadec, femme puissante s'il en est, a tout pour elle. Soit... C'est pourtant ignorer que même chez les heureux du monde, du meilleur possible et fût-il cathodique, le bonheur n'est jamais qu'un storytelling pour les naïfs. Léonore, sans vraiment savoir pourquoi, va peu à peu perdre pied, quitter son travail, son mari, le fat qui lui tient lieu d'amant, et tout plaquer pour une vieille bicoque branlante sur l'île de Sein. Là, Léonore va se perdre plus que jamais...

Cette femme au bord de tout, de la crise de nerfs, de la mer, de la folie et du chagrin est l'héroïne de La matinale, le troisième roman de la journaliste Nolwenn Le Blevennec. Les lecteurs de La trajectoire de l'aigle et des Amies (Gallimard, 2021 et 2023) y retrouveront ce ton corrosif et pétri d'une forme de tendresse navrée qui n'est qu'à elle. Ce roman d'une chroniqueuse du temps présent est aussi comme un bréviaire d'une psyché féminine sens dessus dessous. Tout y passe (servi par la parfaite connaissance de l'autrice de l'écosystème qu'elle décrit) : le désir, la fatigue, la famille, le couple, les communautés introuvables et la sale gueule des temps. C'est brillant, pudiquement mélancolique, intelligent, justement écrit. Tout y passe, absolument tout, donc nous et nos vies.