Ce monument de la philosophie qu’on cite plus souvent qu’on ne le lit valait bien qu’une trentaine de spécialistes français et étrangers se décarcassent. Sous la direction de Dorian Astor, qui a signé un Nietzsche : la détresse du présent ("Folio essais", 2014), ce dictionnaire s’impose comme un parfait vade-mecum de sa pensée. Il était pourtant a priori assez paradoxal de choisir cette forme pour un homme qui se méfiait des mots. Mais c’est justement parce que le dictionnaire est un antisystème que cela fonctionne à merveille. Il ordonne alphabétiquement, mais ne classe pas. Avec lui nous avançons à sauts et gambades dans les 400 entrées. Mais surtout, et c’est toute l’originalité de la démarche, il explique les influences de Nietzsche, sur Heidegger - "il m’a fichu en l’air", disait-il -, le nazisme, la notion de surhumain, la volonté de puissance, l’histoire, etc. Il montre également la manière dont il fut compris en France, du début du XXe siècle à Derrida via Deleuze, jusqu’à Michel Onfray qui se revendique d’un "nietzschéisme de gauche". Dans son article, Raphaël Enthoven n’est pas tendre avec l’auteur de Cosmos. "Comment dénoncer ceux qui oublient que Zarathoustra est écrit "le sourire aux lèvres, comme une parodie des évangiles" tout en manquant cruellement, soi-même, de l’humour qu’il faut pour se méfier, comme d’une intuition qui dégénère en vérité, de ses propres convictions ?" Accessible, pertinent, percutant et dérangeant, voici un travail de grande qualité, au-delà des préjugés et des malentendus. L. L.