Le cerveau est à la mode. Dans les livres, les revues ou les documentaires télévisés, on le dissèque comme une mécanique subtile dont on observe par l’imagerie le fonctionnement. Mais que nous montre-t-on? C’est le sujet de l’essai incisif d’Emmanuel Fournier. "Comment passe-t-on des "faits" neuroscientifiques à des assertions sur ce que nous sommes ?"
Le passage au neuro ne passe pas chez ce neurosceptique. Pas plus que le neurocentrisme qui en découle ou la neurolangue qui en est l’émanation. "Ce cerveau n’est autre qu’une nouvelle façon de me représenter, un autre nom que je me donne, et je ne peux qu’accueillir comme une aubaine cette occasion de changer de façon de me voir." A condition d’être vigilant et de ne pas prendre au pied de la lettre le discours des neurocroyants qui offrent en prime la perspective d’un homme augmenté. Mais augmenté de quoi?
Emmanuel Fournier est un penseur inclassable. On doit à ce médecin, mathématicien et dessinateur une surprenante Philosophie infinitive (L’Eclat, 2014, rééditée en "Eclat poche" le 5 avril) où il décline vingt années de réflexion sous la forme de 1 700 verbes agencés comme des haïkus. Exemple: "Commencer par se préparer, se disposer. Sembler voir venir, sans pouvoir sentir encore." Ce professeur qui enseigne l’éthique et la physiologie (université Paris-6 Sorbonne) s’attaque à tous ceux qui veulent nous faire croire que notre matière cérébrale serait plus importante que notre matière à penser. Sa charge, plus comique qu’héroïque, montre toute l’absurdité de la neurocertitude à destination des neuroconvaincus, ce qui manifestement n’est pas son cas. L. L.