Homme libre qui a toujours chéri la mer, Olivier Le Carrer a longtemps dirigé la revue Bateaux, le plus ancien magazine de voile en France. Il possède aussi une belle plume, et un sens de l’humour caustique, presque plus british que frenchy. Son Atlas des lieux maudits est à la fois un anti-manuel de voyage destiné à nous éviter des destinations épouvantables, et, en arrière-plan, une réflexion géopolitique sur l’état du monde. Le Carrer, passionné de cartographie, l’a illustré de vieilles cartes latines, françaises, anglaises, qui rappellent celles de Vidal-Lablache qui ornaient jadis les murs de nos écoles.
Selon lui, la terre a été maudite par Dieu dès la création (voir Genèse, 3, 17), et ça ne s’est pas arrangé depuis. Guerres « mystiques », comme en Syrie, phénomènes surnaturels ou cataclysmes naturels, activités humaines (mines, centrales nucléaires...) rendant certains sites invivables. On s’étonne même que l’auteur n’en ait recensé que 40, soigneusement classés par zones géographiques.
L’Atlas commence en France, par les falaises d’Ault, en Normandie, rongées par la mer, et s’achève, toujours dans l’hexagone, par le château de Tiffauges, en Vendée, résidence de Gilles de Rais, compagnon de Jeanne d’Arc et Maréchal de France, plus connu pour son surnom de Barbe-Bleue, ses coupables penchants et les 40 meurtres d’enfants qu’on lui attribue, qui lui valurent le gibet en 1440. Entre- temps, on aura sillonné la planète de Charybde en Scylla - dans le détroit de Messine, seul le premier étant, semble-t-il, redoutable - à la Cité Soleil, bidonville de Port-au-Prince accablé de tous les maux de la terre, y compris d’ONG qui se déchirent entre elles. Et on aura échappé aux deux lieux les plus maudits de cette anthologie, semble-t-il : le détroit de la Sonde, entre Java et Sumatra, riche en hauts-fonds, en pirates, menacé par le dangereux volcan Krakatoa ainsi que par la construction d’un pont délirant - et contesté - de 30 kilomètres et 11 milliards de dollars ; et le cap York, dans l’Etat du Queensland, en Australie, fréquenté par des crocodiles marins tueurs (les salties), des requins, des serpents de mer et des méduses virulentes.
Grâce à Olivier Le Carrer, l’ « innocent touriste » ne se fera plus piéger par « un tour-opérateur indélicat », le voyageur téméraire est prévenu, et le poète continuera à rêver du jardin d’Eden. Mais c’était avant. J.-C. P.