À peine venait-on de prendre connaissance des déboires de Jonathan Franzen — l’édition anglaise de son dernier roman a été rapatriée d’urgence des librairies en raison du nombre de coquilles : Fourth Estate a en effet imprimé le livre à partir des épreuves non corrigées —, que Pierre Assouline nous apprend qu’il manque les deux chapitres finaux dans la version catalane de La Chute des géants de Ken Follett… Ces affaires appellent quelques commentaires juridiques. Car si le droit de la bourde n’est pas encore codifié en tant que tel, les jurisprudences abondent en la matière. Rappelons en effet qu’aucune raison ne justifie la modification d’une œuvre, volontaire ou non, sans le consentement écrit de son auteur. D’ailleurs, une clause générale par laquelle l’auteur accepte à l’avance toute modification de son œuvre est annulable. L’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit, au titre des attributs moraux de l’auteur, un « droit au respect de l’œuvre ». C’est ainsi qu’il ne saurait être question pour l’éditeur de procéder, sans accord de l’auteur, à toute suppression, modification, altération ou adjonction dans le texte : il ne peut, par exemple, selon les tribunaux, supprimer des paragraphes, récrire les titres des chapitres ni insérer des répliques. De même, il a été jugé que l’éditeur ne peut modifier de lui-même l’ordre des chapitres, procéder à l’ajout d’illustrations, d’une préface, modifier la bibliographie ou encore faire effectuer une mise à jour sans le consentement de l’auteur. Cette règle s’applique également à l’égard des autres contributeurs du livre : l’éditeur ne peut pas mutiler l’œuvre figurant en couverture ou en pages intérieures en n’en reproduisant que des extraits ou en supprimant des éléments d’une photographie. Le recadrage, la reproduction inversée, la « colorisation », le détourage sont autant d’atteintes au respect d’une œuvre, quelles que soient la nature et la taille de celle-ci. Par ailleurs, la Cour d’appel de Paris a estimé, le 4 février 1988, que l’éditeur est fautif quand il ne procède pas à la correction des nombreuses erreurs orthographiques laissées par l’auteur. Il s’agit là en effet d’une obligation qui s’inscrit naturellement dans le rôle de la maison d’édition. L’éditeur — qui publiait, en l’espèce, à compte d’auteur — reste toujours tenu à un devoir de conseil. À ce titre, il doit notamment indiquer à l’auteur la nécessité de travailler encore son manuscrit, ainsi que lui suggérer fortement de corriger les fautes d’orthographe. A fortiori , le 9 mars 1994, le Tribunal de grande instance de Paris a condamné un éditeur pour avoir déformé sur son ouvrage le nom de l’auteur et procédé à sa commercialisation sans s’inquiéter outre mesure…