25 AOÛT - ROMAN Japon

Haruki Murakami- Photo CÉDRIC MARTIGNY/OPALE

Heureux Japonais... Heureux les peuples qui peuvent trouver un livre pour "incarner" leur chagrin. Ce livre, c'est 1Q84, le nouveau roman d'Haruki Murakami. De la littérature perçue comme un exorcisme. Depuis la parution au printemps 2009 des deux premiers volumes de cette vaste trilogie, il s'en est vendu au Japon plus de quatre millions d'exemplaires. 500 000 lecteurs se sont précipités dès le jour de sa sortie sur l'ultime tome, paru cette année. Et l'engouement dépasse les frontières de l'archipel : en Corée du Sud, les enchères pour obtenir les droits se sont élevées à des hauteurs inédites, la Chine inonde le marché d'éditions pirates, aux Etats-Unis, Knopf publie en octobre en un seul volume le roman de celui dont les américains n'ont pas oublié qu'il fut l'élève de Carver et le traducteur de Fitzgerald. La France n'est pas en reste et Belfond, qui édite Murakami depuis 2002 et son sublime Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil, entend bien avec ce 1Q84, livre 1 et 2 (le dernier tome sera publié en mars prochain) marquer la rentrée de son empreinte. Il est vrai que, roman d'amour, de science-fiction, d'épouvante fantastique en même temps que vaste récit méditatif sur la dureté des temps, 1Q84 (hommage explicite à Orwell) a tout pour y parvenir. Mêlant comme dans ce qui demeure à ce jour son plus grand succès en France, Kafka sur le rivage, sa veine intimiste et lyrique à son goût pour les constructions baroques, Murakami fait à nouveau preuve de son extraordinaire maestria romanesque qui confortera ceux qui voient en lui l'une des grandes plumes de ce temps (comme ceux, il est vrai, qui lui reprochent d'avoir peu à peu remplacé l'inspiration par la maîtrise).

L'histoire menée en parallèle d'Aomamé, une tueuse à gages qui s'est donné pour mission de débarrasser le Japon des auteurs de violences conjugales, et de Tengo, un professeur de mathématiques qui se rêve romancier, sur fond de sectes apocalyptiques, d'enfants perdus du gauchisme et d'un pays tout entier dévoré par la tension entre matérialisme et spiritualité, est de celles que l'on n'oublie pas. Le roman chez Murakami, celui-là en particulier, est une machine de guerre contre les fondamentalismes. Dans l'un des rares entretiens qu'il ait accordés ces dernières années, au Monde Magazine, il déplore qu'"à la mort des grands récits [se soit]ajoutée la déréalisation des rapports sociaux". C'est toute la beauté de ce roman, plus secret qu'il n'y paraît, de contenir en son sein une interrogation angoissée sur le métier d'écrire à l'heure des réseaux sociaux et de l'envahissement des signes. De croire encore qu'un livre peut sauver et justifier le monde.

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