La chance aide parfois
le courage, souvent,
le goût de la vérité, toujours.
Jacques Delors, cité par Loïc Bouvard dans son discours d'ouverture de la XIIIe législature, le 26 juin 2007.
« Mesdames et Messieurs les député(e)s, sénatrices et sénateurs, la situation extrêmement difficile dans laquelle se trouvent aujourd'hui nos pays, l'absence de lisibilité, la complexité apparemment insurmontable des enjeux contradictoires qui piègent Etats, nations et individus, réclament des peuples mûrs, conscients, engagés et volontaires. De ces qualités, la culture - que nous opposons fermement au divertissement et au loisir - est le ferment, le sel et le ciment.
La variété des échanges et des débats qui ponctuent le quotidien du travail de la librairie française fait de ces libraires le réceptacle et le transmetteur des idées qui naissent et se développent. Les livres, même concurrencés par d'autres moyens, demeurent les vecteurs premiers de cette transmission. En amont, la lecture des éditeurs permet que soient repérés les véritables enjeux de la langue, de l'esprit et de la vie. Sans eux, rien de l'immense et silencieux travail des auteurs n'adviendrait au monde. Par sa formulation, ô combien significative et paradoxale, "la chaîne du livre" éduque en libérant les peuples et les démocraties.
De l'ensemble des pratiques culturelles, la lecture, par ce qu'elle convoque dans l'individu et les relations humaines, est essentielle à la qualité du lien social. A l'aube d'une reprise en main de l'avenir de l'humanité, cette pratique, par ce qu'elle impose de patience, de sérieux, de plaisir, d'intelligence et de spiritualité, donne aux Européens une profondeur, une gravité et une sérénité que d'aucuns lui envient. La reconstruction du monde après 1945 ne s'y trompait pas qui, avec la Santé et l'Education, fit de la Culture le troisième pilier sur lequel bâtir la Maison Europe.
Lorsque au milieu des Trente Glorieuses, les Fnac inauguraient une vision plus marchande de la culture, et posaient les principes d'une massification de sa diffusion, l'ensemble des professions du livre oeuvra de conserve pour que le libéralisme avancé soit contrebalancé par une vision plus ambitieuse et large. La loi sur le prix unique du livre, patiemment élaborée sous la conduite de Jérôme Lindon, lui-même fils de la Libération et de ses idéaux, et ardemment défendue par Jack Lang, ministre de la Culture de François Mitterrand, recevait l'adhésion de tous les parlementaires. L'enjeu était et demeure : permettre que coexistent une culture populaire de qualité et une culture de l'excellence, l'une et l'autre se nourrissant mutuellement. Ne défendre que la première, c'est la couper de son horizon d'attente, ne défendre que la seconde c'est sombrer dans une société élitiste.
Face aux difficultés que traversent les pays européens, le relèvement de la TVA peut sembler un simple geste technique. Pourtant, sans le dire publiquement, l'Elysée sait que les cinquante millions d'euros d'économie espérés, outre qu'ils pèsent très peu dans le milliard huit attendu, ne seront pas au rendez-vous. En effet, le financement des difficultés occasionnées et le coût inchiffrable des faillites engendrées par le relèvement de la TVA feront perdre à l'Etat plus qu'il espère gagner. Après l'application de cette mauvaise mesure, la diversité du paysage éditorial français disparaîtra. L'écrasante majorité des éditeurs ne bougera pas les prix de ses livres, et la myriade d'éditeurs qui constitue les fonds de la librairie française est appelée à s'effacer.
Contre un surcroît de libéralisme qui vous ferait espérer que l'abandon aux lois d'un marché dérégulé sauverait l'économie du livre, nous vous rappelons que la France offre cette situation exceptionnelle pour le livre et la Culture, justement parce que depuis des siècles l'Etat a protégé et conduit leur développement en ne légiférant pas trop mais en légiférant juste.
Nous vous demandons solennellement de vous battre à nos côtés et d'obtenir l'annulation du relèvement de la TVA sur la filière du livre. D'autres combats sont à venir - vous serez avec nous - pour que la Culture continue de donner sens à nos vies et inspire notre action.
Callimaque
Poète grec (305 - 240 av. J.-C.), Callimaque a accompli le difficile travail d'inventorier la bibliothèque d'Alexandrie avant sa destruction.
Le collectif Callimaque se compose de :
Sylvie Gouttebaron, directrice de la Maison des écrivains et de la littérature (Mel)
Francis Goux, ancien libraire
Olivier Huguenot, directeur de la librairie Le Neuf à Saint-Dié des Vosges, enseignant à l'IUT Métiers du livre de Nancy
Jean-Yves Masson, écrivain, traducteur
Héloïse d'Ormesson, éditrice
Régis Pecheyran, industriel, gérant de la holding Les amis de Tschann
Yannick Poirier, directeur de la librairie Tschann à Paris
Union nationale de l'imprimerie et de la communication (Unic).