Les espions qu'il aimait. Matt Kindt adore les espions. Leur code d'honneur, leur quotidien sous le sceau du secret, leurs amours impossibles et leurs gadgets improbables. Mais en bon auteur de fiction de genre, il n'oublie jamais l'importance de l'action et, dans le cas de l'espionnage, sous-genre trop peu abordé en bande dessinée, il y ajoute du romantisme. Ainsi en était-il du déchirant Super Spy (Futuropolis, 2008) et du cérébral Mind MGMT (Monsieur Toussaint Louverture, 2020-2021), probablement ses plus grandes œuvres. À côté, le présent Spy Superb pourrait paraître un brin falot. Mais avec Matt Kindt, il faut toujours se méfier.
Voici donc l'espion ultime, l'agent insaisissable, le « Spy Superb », au nom clinquant comme une marque de lessive des fifties. Sauf qu'il n'existe pas : seul son mythe perdure et obnubile les services secrets du monde entier. En réalité, Spy Superb est un individu lambda, choisi pour son apparence quelconque et son intellect à peine dans la moyenne, selon le principe que « les meurtres parfaits sont ceux qui ressemblent à des accidents, les espions parfaits sont ceux qu'on prend pour des crétins ». Or, le dernier en date a été assassiné avant d'accomplir sa mission. Ouf, son successeur est identifié : Jay Bartholomew III, employé de librairie et aspirant romancier lourdingue. « Le plus utile des abrutis », selon ses recruteurs...
Mais, après une séquence hilarante digne d'un Peter Sellers coincé chez Tex Avery, cet espion malgré lui va endosser son rôle avec, si ce n'est de l'élégance, un certain chic pour être là où il faut, quand il le faut. Et c'est là que Matt Kindt démontre tout son talent de raconteur. En détournant ses propres gimmicks (l'espionne impassible) ou des figures cartoonesques du genre (le tueur aux étoiles de ninja en papier trempées dans du poison), il délaisse son goût pour le noir et assume le pastiche. Il le fait avec espièglerie et son coup de crayon habituel, vif, faussement lâché et superbement mis en couleur à l'aquarelle par sa compagne Sharlene. Jay est un antihéros total, aux réactions imprévisibles, et Matt Kindt donne l'impression de courir après lui et de subir ses choix. Mais, évidemment, il n'en est rien. Car si son Jay est le « Spy Superb », le manipulateur Matt Kindt est, lui, le roi des BD d'espionnage.
Spy Superb. L’espion ultime
Futuropolis
Ttraduit de l'anglais (États-Unis) par Sidonie Van den Dries
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 25 € ; 160 p.
ISBN: 9782754844789