20 février > Poésie France

Octogénaire, Jacques Roubaud, qui a commencé sa carrière poétique en 1944 avec ses Poésies juvéniles, est un monument des lettres françaises : poésie, prose, essais, récits autobiographiques. Sans oublier le génial Graal théâtre, décalogie composée à la fin des années 1970 avec sa complice Florence Delay, à qui il dédie six poèmes de son nouveau recueil, Octogone, dont un pastiche du poète Jodelle (1532-1573), héros de L’insuccès de la fête, superbe ouvrage de l’amie immortelle. On est ici entre gens de bonne compagnie, qui maîtrisent l’érudition et la distance, la littérature et la science, la poétique et la mathématique.

Dans Octogone, livre-somme aux registres divers, Jacques Roubaud n’oublie pas qu’il fut professeur de maths à l’université, ni qu’il est membre de l’Oulipo depuis 1966, coopté par le regretté Raymond Queneau. Il met au service de son art toutes les ressources de sa virtuosité et de sa culture. Le livre est divisé en dix-sept sections, dont certaines scindées en deux ("Vingt partitions parisiennes" et "Hommages"), rassemblant, selon un ordonnancement aussi rigoureux qu’hermétique au profane, des poèmes de toutes formes et de toutes tailles. Les "tridents" de la section "Exact", par exemple, des haïkus autobiographiques, comme "1945. Jardin du Luxembourg" :

" fesses verdies, 
gelées en extase 
les dames statues".

Ou encore ce prométhéen "Trident n° 255" :

"je maîtriserai 
ces syllabes 
jusqu’à la dernière".

Certains poèmes sont purs exercices de style de haute voltige, comme le calligramme "Dans l’air", voire des expérimentations à la limite du lisible. D’autres, la majorité, bien plus accessibles (on n’ose écrire "classiques"), comme ce "Pont Mirabeau" décalqué d’Apollinaire.

Poésie sçavante, certes, mais jamais dénuée d’humour, ni d’émotion. On a vu l’auteur tenter de mener à bien la tâche qu’il s’est fixée. Le voici, s’adressant au soleil et célébrant le corps de son aimée : "Laisse-moi/L’embrasser, la caresser, la pénétrer/Toucher ses yeux/Avant que mes doigts ne gèlent de vieillesse". Les mots plus forts que la mort, c’est l’ambition éternelle de la poésie. Et Jacques Roubaud est un poète, un grand. J.-C. P.


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