Île atomique. Nous sommes en plein Pacifique, en 1972, dans l'archipel des Marquises, en Polynésie française, six ans après le premier essai nucléaire français, une bombe de vingt-huit kilotonnes baptisée Aldébaran testée sur une barge du lagon de Mururoa. Le nuage radioactif des essais atmosphériques est allé bien plus loin qu'on ne l'avait imaginé, contaminant l'eau, les sols, les êtres. L'opinion internationale commence à s'alerter.
Mais la vie est rude et le travail rare aux confins du monde. La jeune Simone Hauata de Nuku Hiva rêve d'un avenir meilleur : « faire construire une maison en dur, aider la paroisse à restaurer la vieille chapelle d'Anaho, offrir un nouveau moteur à la barque de son père, replanter des cocotiers, des pamplemoussiers et des arbres à pain sur leur parcelle ». Elle se fait engager comme cuisinière sur un chantier de forage sur l'île déserte d'Eiao. « Soixante-dix-neuf couverts par repas, trois repas par jour. Ici on mange français, ordre de l'amirauté. » Simone, qui vient de quitter sa famille, tient sa feuille de route pour plusieurs mois.
Officiellement, ce forage minier fait partie d'une mission géologique, pourtant les rumeurs grandissantes disent que le vrai maître d'œuvre serait le CEP, la filiale tahitienne du Commissariat à l'énergie atomique français... Derrière une garnison de légionnaires à l'ouvrage et le tabou du secret-défense, il se chuchote que le forage viserait à étudier la possibilité d'essais cette fois souterrains. Eiao va-t-elle sauter ?
Sur cette terre aride devenue un campement militarisé, Simone découvre la brutalité coloniale, le silence imposé, la présence oppressante de l'armée... Mais aussi l'amour. La cuisinière s'éprend d'un manœuvre, Tahi, qui l'aime en retour. Deux des membres de la famille de Tahi sont morts des suites des radiations. Figure de la rébellion, cet homme aux larmes amères s'engage dans l'activisme pour tenter l'impossible. C'est-à-dire un sabotage pour ralentir, à défaut de stopper, le chantier - que peut un homme seul face à la volonté du président Georges Pompidou ?
Marin Ledun, qui compte parmi les meilleures voix du roman noir français, livre chez l'éditeur tahitien Au Vent des Îles un hymne amoureux aux inatteignables Marquises, comme le chanteur Jacques Brel naguère, ou Michel Bussi en 2020 avec Au soleil redouté (Presses de la Cité). L'Ardéchois d'origine a signé une trentaine de livres chez divers éditeurs en dix-huit ans. Il a reçu de nombreux prix, dont le trophée 813 du meilleur roman francophone et le Grand Prix du roman noir du Festival international du film policier de Beaune pour Les visages écrasés (Seuil, 2011). Ce nouveau roman social, noir, politique, fidèle au style Ledun, met en lumière avec une précision quasi documentaire les zones grises de la politique française, les dominations sociales et coloniales. Ledun y confirme une constante de son œuvre : les mensonges d'État et les rapports de force qui broient les individus.
Eiao
Au vent des îles
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 11 € ; 96 p.
ISBN: 9782367346540
