18 février > Essai France

"Marx, Mao, Marcuse." Le slogan date de Mai 68. Il paraît réaliste, mais bien sûr il est faux. Le Grand Timonier est de trop. C’est ce que montre Claude Dupuydenus, qui s’est intéressé à Herbert Marcuse (1898-1979), hégélien de formation, converti au marxisme pour finir libertaire, hédoniste et féministe. Il l’a bien connu. Il fut son assistant à l’université de San Diego, en Californie, de 1966 à 1969, dans ces années où la révolution était permanente, au moins dans les têtes.

Pour son premier livre, cet ingénieur à la retraite est resté fidèle à l’esprit de Marcuse. Il s’agit moins d’une biographie au sens classique du terme que d’un essai qui souligne son influence en France auprès des intellectuels de la "nouvelle gauche" comme Michel Foucault, Jacques Derrida, Gilles Deleuze ou Félix Guattari. Angela Davis pensait que la notoriété fulgurante de Marcuse, propulsée par Eros et civilisation (Minuit, 1963) puis par L’homme unidimensionnel (Minuit, 1968), avait fait oublier ses analyses.

Claude Dupuydenus nous propose donc de relire ce philosophe "engagé, utopiste certes, mais réaliste" issu d’une famille juive allemande qui passa plus de la moitié de sa vie aux Etats-Unis. Enfant de la Première Guerre mondiale et des échecs de la République de Weimar, le jeune Marcuse quitte Berlin pour Fribourg où enseigne Husserl.

Claude Dupuydenus explique les origines de l’Institut de recherche sociale d’où sortira l’école de Francfort (Horkheimer, Adorno…), mais aussi les relations houleuses de Marcuse avec Heidegger. Ils travaillaient ensemble à Fribourg au moment de la publication d’Etre et temps en 1927. L’ouvrage l’a marqué, mais après l’engagement nazi de Heidegger, il qualifie sa philosophie de "bidon". Leur échange de lettres après la Seconde Guerre mondiale montre l’ampleur du fossé qui désormais les sépare.

Claude Dupuydenus souligne le tiraillement de Marcuse entre ses racines européennes et son exil américain. Sa mort est à elle seule un résumé de cette vie écartelée. Foudroyé par une crise cardiaque en Allemagne chez son ami Habermas, il est incinéré en Autriche, puis ses cendres sont transférées aux Etats-Unis. Douze ans plus tard, elles sont rapatriées à Berlin dans le cimetière où sont inhumés Hegel et Brecht.

Pour ce travail passionnant, Claude Dupuydenus a bénéficié de l’aide de Peter Marcuse qui a mis à sa disposition les inédits de son père. "Mon intérêt pour Marcuse ne m’a jamais déçu", avoue-t-il. Son enthousiasme éveille le nôtre pour ce penseur de l’émancipation contre la défaite politique et morale. L. L.

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