En 2008, Philippe Delerm publiait déjà, dans la collection "Le goût des mots" qu'il dirige chez Points Seuil, et dont il n'a sûrement pas choisi le nom au hasard, un recueil intitulé Ma grand-mère avait les mêmes, sous-titré Les dessous affriolants des petites phrases. On peut considérer son nouveau livre, Je vais passer pour un vieux con, lequel inaugure le transfert au Seuil de toute la production (pour cinq livres au moins) du très prolifique écrivain, comme un prolongement du précédent, traitant toutefois de domaines plus divers et dans un registre parfois différent.
Malicieux toujours, mais, avançant en âge, un poil mélancolique, Delerm n'en finit pas d'assouvir cette gourmandise pour la langue française qui le porte, vie et oeuvre mêlés. Pour ces mots qui, seuls, ne mentent pas, et ces "petites phrases" qu'on désigne comme "usuelles", presque usées, parce qu'on les emploie chaque jour ou presque, machinalement, sans toujours en connaître les origines ni en maîtriser tous les présupposés. "La maison n'accepte plus les chèques", "Comment il l'a cassé !", "J'étais pas né" et "Vous n'aimez pas l'accordéon ?", entre autres, sont tout sauf des lieux communs anodins.
Alors Maître Delerm, fils d'enseignants et longtemps enseignant lui-même (récemment retraité), reprend du service et nous fait savourer à nouveau les délices de l'explication de texte. Au passage, naturellement, il épingle quelques travers du monde contemporain et des pires de ses habitants : imbéciles, ignares, mufles, goujats, snobs, et autres casse-pieds. Parfois même il s'énerve, perd son flegme de fumeur de pipe un peu baba cool. Ainsi, à propos de ce supporteur vautré dans les tribunes de Roland-Garros, et il y en a toujours un, qui se croit obligé, à un moment particulièrement intense de la rencontre et dans le profond silence d'usage, de lancer un "Alleeez" tonitruant et "parfaitement vulgaire". On ne plaisante pas avec le sport : le gêneur est "un petit branleur, plutôt friqué. Un petit con".
Mais en général, Philippe Delerm est un moraliste aimable, qui, au coup de règle sur les doigts de l'élève pris en faute, préfère l'ironie. Il épingle par exemple ces people qui se croient malins, interviewés à la télévision, quand ils déclarent : "Je vais relire Proust." Ou ces auteurs "en promo" qui répondent aux questions des journalistes par un "J'en parle dans le livre" qu'il juge "obscène". Pas question pour cet amoureux de la littérature qu'un écrivain se transforme en "pitoyable commerçant". Il ne doit pas regarder souvent la télé !
"Dans son livre" à lui, ce recueil de 42 petits bijoux impeccablement ciselés, l'auteur a glissé, en incipit et en clausule, deux textes un peu plus graves. Dont "Je ne m'en servirai plus maintenant", l'histoire d'un sénior qui transmet son vélo à un plus jeune, parce qu'il sait qu'il n'a plus la force d'en faire. Tempus fugit. Philippe Delerm, lui, peut être rassuré : il a toujours la verve de ses débuts, et non, il ne passe pas pour un vieux con.