Tôt reconnu pour l'ambitieuse trilogie Fleur, saga dans laquelle il restituait, dans des planches en grande partie muettes, la trajectoire dramatique d'un jeune partisan successivement persécuté par les Japonais et par les Sud-Coréens dans les années 1930 à 1950 (Casterman, 2006), Park Kun-woong s'est fait une spécialité des récits épiques mettant au jour les traumatismes de son pays. Fidèle à ses obsessions, l'auteur né en 1972 à Séoul adapte aujourd'hui Le journal de Jessie, que Yang Wu-Jo et sa femme Choi Seon-Hwa ont entamé à la naissance de leur fille, Jessie, un ouvrage emblématique du combat pour l'indépendance de la Corée.
Dans les années 1930, où le Japon exerce un contrôle sévère sur la péninsule coréenne, Yang Wu-Jo, qui avait fait fortune dans l'import-export après des études aux Etats-Unis, au très renommé MIT (Massachusetts Institute of Technology), a été accusé par la police japonaise d'être un résistant. Il est conduit à rejoindre, à Shanghai, le gouvernement provisoire établi par la résistance coréenne. C'est là qu'il épouse Choi Seon-Hwa, une enseignante qu'il avait rencontrée à Séoul. Jessie naît peu après. Le journal du couple, chronique à la fois familiale et politique, épouse le parcours accidenté du gouvernement provisoire, contraint, en Chine, à une interminable errance, de Shanghai à Guangzhou, puis Hangzhou, Zhenjiang, Suzhou, Nankin, Hankou et Changsha, au fur et à mesure que l'armée japonaise fait reculer les troupes chinoises. Une fuite qui ne sera interrompue que par la défaite japonaise devant l'armée américaine, en 1945, après les bombardements nucléaires d'Hiroshima et de Nagasaki.
Dans Fleur, Park Kun-woong avait mis la couleur au service de la violence de son récit. Cette fois, le dessinateur fait de cette résistance sans combat, loin de Séoul, une épopée en même temps qu'un vaste théâtre d'ombres grâce à un formidable traitement du noir et blanc qui emprunte fréquemment à la technique des ombres chinoises. D'une ville chinoise à l'autre, la petite communauté de quelque 300 Coréens qui accompagne l'état-major coréen, sans cesse en mouvement, à pied, en train, en bateau, en voiture, en bus, en camion, combat pour sa subsistance, confrontée aux bombardements comme aux mille tracas de la vie quotidienne en temps de guerre. Park Kun-woong redonne au courage son sens profond, qui ne se réduit pas aux faits d'armes, mais se manifeste face à l'adversité du quotidien, porté par une espérance plus grande que lui.
Le livre de Jessie - Traduit du coréen par Kette Amuroso
Casterman
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 24 euros ; 368 p.
ISBN: 9782203171701