Parfois, découvrant le premier roman demeuré inédit de quelqu’un de connu qui n’est pas devenu écrivain (cinéaste, peintre, homme politique…), on se prend à regretter qu’il n’ait pas persévéré. Ce n’est pas le cas ici. Edgar Morin a bien fait de choisir la philosophie et la sociologie. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne lira pas avec curiosité et intérêt, les psychanalystes surtout, cette Ile de Luna, texte qu’il écrivit dans sa jeunesse, juste après la guerre si l’on compte bien, et qu’il avait "oublié" durant soixante-dix ans. Il en avait même, précise l’éditeur, perdu les derniers feuillets, et a consenti, alors qu’il n’a rien retouché au reste, à ajouter un paragraphe en forme de chute. Il en fallait bien une.
Comme souvent chez les primo-romanciers, L’île de Luna est un récit autobiographique, qui prend les allures d’un règlement de comptes familial. A 11 ans, le jeune Albert Mercier, rejeton d’une famille bourgeoise du 17e arrondissement, perd sa mère, Luna. Mais son père Victor, un personnage à la fois falot et tyrannique, et le reste de la famille (l’oncle André, la tante Renée et leurs enfants, chez qui père et fils vont habiter un temps pour se "remettre" de leur deuil) font tout, au début, pour le lui cacher, le prenant presque pour un imbécile - ce qu’il n’est pas. Elle serait "partie à Vittel". Vichy, ils n’ont pas osé. Albert, bien sûr, n’en croit rien, et amènera les adultes, à force de se comporter en voyou, de les tyranniser par ses caprices, ses provocations, à lui avouer la vérité. Luna se serait-elle noyée à Rueil, ou à Chatou, dans une de ces îles près de la belle maison où la famille, alors heureuse, devait emménager ?
Albert fait des cauchemars, et tente de se reconstruire contre. Le tout raconté dans un style oppressant, répétitif, "complexe", la marque de fabrique d’Edgar Morin. J.-C. P.