L'imaginaire enfin en fac

Natacha Vas-Deyres, université Bordeaux-Montaigne. - Photo Yves Tennevin/CC BY-SA 2.5

L'imaginaire enfin en fac

Longtemps dénigrées, les littératures de l'imaginaire commencent à trouver place dans les champs de recherche universitaires. Mais la France part de loin.

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Par Benjamin Roure
Créé le 05.06.2020 à 03h30

Même Jules Verne, on ne s'y est intéressé que dans les années 1980 ! » Chercheuse depuis une douzaine d'années dans le domaine de la science-fiction, Natacha Vas-Deyres, de l'université Bordeaux-Montaigne, rit jaune en brossant la chronologie finalement très récente de l'intérêt académique français pour les littératures de l'imaginaire. « Dans le monde anglo-saxon, l'utopie et la dystopie appartiennent au paysage littéraire, les chercheurs les ont étudiées de manière naturelle. En France, on s'est longtemps posé la question du sérieux de cette littérature et donc de sa légitimité. »

Celle qui travaille actuellement sur la représentation de l'espace aux -côtés d'un laboratoire d'astrophysique explique qu'après l'explosion éditoriale des années 1970, il a fallu attendre plusieurs générations pour que la SF devienne un champ d'exploration dans l'Hexagone. De nombreux universitaires fréquentaient les conventions de fans, mais en toute discrétion. Finalement, poursuit Natacha Vas-Deyres, « après les pionniers Roger Bozzetto et Jean Marini, la génération des Anne Besson, Irène Langlet ou Simon Bréan, pour qui les littératures de l'imaginaire sont des objets de recherche évidents, ont assis une première légitimation du genre. La nouvelle génération des 25-35 ans travaille sur sa visibilité et sa transversalité, dans la BD, le cinéma, les séries, les jeux vidéo. Mais aussi sur l'histoire des représentations des sciences. »

Fondateur du Bélial et de la revue Bifrost, Olivier Girard se souvient que Roland Lehoucq, chercheur au Commissariat à l'énergie atomique, ne souhaitait pas forcément que ses collègues sachent qu'il avait lancé la rubrique Scientifiction, pour vulgariser des sujets scientifiques à travers la littérature. C'était il y a 20 ans et le regard a changé, se réjouit Roland Lehoucq, qui préside l'association du festival nantais Les Utopiales. « Nous nous adressons à un public bien plus large que les 1 000 ou 2 000 lecteurs hardcore de SF. Nous mêlons le pointu et le grand public, afin de promouvoir la science-fiction comme un genre qui va au-delà du simple divertissement. Une de nos satisfactions est d'accueillir des scientifiques dont certains se rendent compte que la SF n'est pas ce cliché de littérature facile. Une partie du public réalise aussi que la SF peut vraiment servir de prétexte à une ouverture plus intellectuelle. » Jérôme Vincent, directeur d'ActuSF, abonde : « Aux Utopiales, j'ai animé une conférence sur Management et SF qui a fait salle comble avec 300 personnes. C'est fou ! »

L'Education nationale à la traine

Cependant, des freins demeurent. Stéphanie Nicot, directrice artistique des Imaginales, qui devaient accueillir cette année un colloque sur Game of Thrones pour lequel elle avait reçu une cinquantaine de propositions d'intervention, pointe pour sa part le retard de la formation des enseignants et la lenteur de l'Éducation nationale à intégrer l'imaginaire. « Certains enseignants de lettres établissent une hiérarchie entre la vraie littérature historique et la production contemporaine, voire exprime une hostilité envers l'imaginaire, déplore-t-elle. Le problème de la formation académique est flagrant. »

Natacha Vas-Deyres, qui fait partie des organisatrices du futur festival bordelais Hypermondes, nuance : « Je sens une nette évolution chez les éditeurs scolaires comme Nathan, avec qui je travaille et qui essaie d'injecter des textes d'imaginaire dans les programmes scolaires. Au collège, ça commence à fonctionner. Au lycée, en revanche, il y a un verrou à faire sauter ! » Les verrous existent encore à plusieurs niveaux, dans la chaîne du livre comme parmi les médiateurs, mais ils s'ouvrent peu à peu. Pour Roland Lehoucq, il est grand temps : « La SF ne mérite pas cet ostracisme car elle réfléchit à la coévolution de l'humanité et de ses techniques, et imagine un répertoire de situations. Elle est la seule littérature à le faire. Ne pas en tenir compte est, à mon sens, une erreur. »

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