23 octobre > Essai Italie

Si Federico Zeri était encore de ce monde, il se serait fort réjoui du dernier scandale en date dans son domaine de prédilection : les fausses œuvres d’art. Cette réapparition d’un prétendu portrait de la duchesse Isabelle d’Este peint par Léonard de Vinci, qui divise ces jours-ci les spécialistes italiens. « Si c’est de Vinci, moi je suis le pape », aurait-il pu dire. Et cette affaire l’aurait conforté dans la piètre opinion qu’il affichait, à propos des universitaires, des archéologues et de ses confrères historiens de l’art. « Pour moi, l’enseignement est une chose abominable, comme s’enivrer, ou prendre de la drogue », disait-il dans une interview, en 1993. Il ne devait pas avoir que des amis ! Il se moquait aussi volontiers du grand archéologue de l’Antiquité Ranuccio Bianchi Bandinelli, lequel s’était fait piéger par « une stèle attique, soi-disant du Ve siècle, qui en réalité avait été sculptée quelques mois auparavant à Rome ». On connaît même l’auteur du faux, un certain Gildo Pedrazzini. Car Zeri, qui ne se fiait qu’à un outil, « l’œil du connaisseur », le sien en tout premier lieu, était autant un iconoclaste qu’un savant, et il s’est plu à fréquenter quelques-uns des faussaires les plus brillants de son temps.

Mort en 1998, Federico Zeri est l’auteur de plusieurs essais majeurs, notamment Derrière l’image (Payot, 1988). Le présent recueil inédit, intitulé de l’alléchant : Qu’est-ce qu’un faux ?, est plus léger, dans la mesure où il rassemble cinq conversations de Zeri, qui ont eu lieu de 1989 à 1993. Deux conférences à l’université Bocconi de Milan, une autre au Collegio Nuovo de Pavie, et deux interviews à la radiotélévision suisse italienne. Des textes oraux, donc, retranscrits assez littéralement, et auxquels l’auteur a su conserver toute leur vivacité. C’est un Zeri en toute liberté qui s’y égaie, saute d’un sujet à l’autre, voire du coq à l’âne, tout en réaffirmant quelques-unes de ses idées-forces. Il plaide ainsi pour la clarté en matière d’histoire de l’art, contre le « sfumato » des professeurs. Regrette que les Italiens, contrairement aux Français, aient toujours méprisé les arts décoratifs, considérés comme mineurs, alors que, pour lui, « tout est culture ». Il établit des comparaisons, des divergences et des filiations entre différentes civilisations : selon Zeri, l’Occident catholique est le domaine de l’expérimentation et de l’évolution, tandis que l’Orient orthodoxe (grec puis russe) est celui de l’immobilisme et du figé, ainsi qu’en témoignent les icônes, qu’il a du mal à apprécier. Au passage, il rappelle que « Byzance » est une création de l’historien anglais Gibbon, au XIXe siècle. Auparavant, on ne parlait que de Constantinople, matrice de Venise.

Quant à la partie sur les faux, synthèse de toutes ses années de terrain à la manière d’un Rouletabille, elle est éblouissante d’érudition et de simplicité. Avec quelques belles formules, qui rappellent parfois le Malraux des Ecrits sur l’art. « Picasso est impossible à copier », par exemple. Zeri également. J.-C. P.

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