L'éveilleur de papilles Jacky Durand, qui nous régale chaque semaine de ses chroniques gourmandes dans Libération (publiées par Carnets Nord ainsi que Cuisiner, un sentiment) ou avec ses «Mitonnages» sur France Culture les samedis matin, sait bien que la cuisine est une affaire d'amour, de mémoire et de transmission. Mais dans ce savoureux roman, entre le narrateur né dans les années 1960 et son père cuisinier qui a tenu toute sa vie Le Relais fleuri, un restaurant en face de la gare d'une petite ville de l'est de la France, cette passation hautement sentimentale va connaître bien des mijotages et quelques coups de feu. Car la phrase « Tu ne seras pas cuisinier, mon fils » pourrait résumer la position de ce père qui meurt à l'hôpital au début du roman. Un artisan sans toque ni tablier blanc, un chef pourtant, aux yeux de son fils qui se désespère de la disparition mystérieuse du Cahier de recettes, la mémoire culinaire de ce « maître du feu » qui a élaboré en toute modestie une cuisine de bistrot, de tradition, à une époque plutôt protéinée : rognons, fromage de tête, blanquette, paupiettes de veau, vol-au-vent, mousse au chocolat et brioche à la fleur d'oranger. Est-ce que la cuisine se lègue par les mots ou par l'observation, ou par les deux ? Auprès de ce père qui montre mais n'explique pas, le garçon fait son apprentissage clandestinement. Malgré lui, le père transmet « l'économie des gestes » et, plus précieuse encore, « la générosité » qui fonde son art modeste. « Lire, écrire et cuisiner », Le cahier de recettes raconte le projet de vie accomplie d'un fils reconnaissant. Véronique Rossignol