Une fillette roumaine de 14 ans et 1 mètre 47, exécutant une figure vertigineuse, inédite, le 17 juillet 1976, au concours individuel de gymnastique des jeux Olympiques de Montréal. Et obtenant une note impossible à restituer sur le tableau d’affichage : 10. C’est par cette image internationalement connue d’une enfant-elfe défiant l’espace que Lola Lafon entame son quatrième livre, le premier confié à Actes Sud. Dix ans après Une fièvre impossible à négocier (Flammarion, 2003), suivi de De ça je me console (2007) et de Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce (2011, réédité en J’ai lu), la romancière et chanteuse auteure-compositrice de deux albums invente les vies de la gymnaste étoile Nadia Comaneci.
« Ce récit ne sera pas forcément exact. Je me donne le droit de remplir les silences », écrit la vraie fausse biographe à son personnage, à qui elle envoie des chapitres au fil de l’avancement du livre, puis restitue les retours de lecture, issus de conversations téléphoniques enregistrées. La romancière confronte ainsi les clichés. Interroge ses propres doutes face aux versions retenues par la légende. Et, encore une fois, dit avec sa forme de colère musclée, à travers la métamorphose d’une enfant silencieuse en une jeune fille pubère, héroïne de la Patrie et du Parti dans la Roumanie de Ceausescu, la violence du regard évaluateur sur le corps des femmes, fût-il celui d’une athlète-soldate.
Machiste, Béla Károlyi, l’entraîneur « manageur », « qui prétend redonner vie à la gymnastique roumaine » en montant une école expérimentale de gymnastique à Onesti, dans l’est de la Roumanie ? « Il valorisait notre force, notre courage ou notre endurance, pas notre coiffure », rétorque Nadia C. La même s’agace quand la romancière insiste sur son rôle d’image publicitaire du régime communiste. « Ah oui ! bien entendu, les Roumains vendaient le communisme ! En revanche, les athlètes français ou américains, aujourd’hui, ne représentent aucun système, n’est-ce pas, aucune marque ?… », raille la gymnaste… Lola Lafon avance ainsi dans ce haut lieu romanesque qu’est le conflit de récits, la confrontation des sources : d’un côté l’analyse après coup, le document indirect, de l’autre le témoignage, l’autobiographie. Elle écrit sur la réécriture de l’histoire : celle d’une trajectoire individuelle et d’un mythe collectif. V. R.