Paul Dupuy est oublié. Il est pourtant à l’origine de l’un des livres les plus bouleversants écrits sur la Première Guerre mondiale. C’est lui, alors secrétaire général de l’Ecole normale supérieure, qui incite Maurice Genevoix à faire le récit de son séjour au front. Cela donnera Ceux de 14. Sans ce professeur d’histoire dreyfusard et biographe du mathématicien Evariste Galois, le normalien mutilé à 26 ans n’aurait peut-être pas fait cette carrière d’écrivain qui le conduisit au prix Goncourt pour Raboliot puis à l’Académie française.
L’Ecole, aménagée en hôpital, paya un lourd tribut. Sur 240 mobilisés, la moitié ne revint pas. Paul Dupuy, alors en fin de carrière, veillera comme un père sur ses étudiants en leur demandant de lui écrire régulièrement, pour être informé mais surtout pour les libérer d’un choc trop intense. La plume élégante du professeur traduit bien cet attachement simple et généreux. Dans cette correspondance qui s’étale de septembre 1914 à avril 1915 ses lettres sont bien plus longues et fréquentes que celle du sous-lieutenant Genevoix aux prises avec la mitraille ou bien avec la glaise et le froid. Elles font écho aux inquiétudes de l’arrière. On sent que la guerre va durer bien plus longtemps que ne l’avaient laissé supposer les états-majors. Paul Dupuy suit les déplacements de son élève et de son bataillon en craignant toujours un peu plus pour lui. Il lui adresse des coupures de presse, des chaussettes, des caleçons, des vêtements chauds, bref tout ce dont on manque dans les tranchées où la peur domine. Il l’entretient aussi de la vie d’une école devenue silencieuse avec le flux et le reflux des blessés. Jamais, sans doute, un conflit n’avait suscité autant de témoignages, de notes et de récits. Le besoin d’écrire, de décrire ce traumatisme fut grand comme le qualificatif donné à cette guerre. Maurice Genevoix y revient sans cesse. Cela relève pour lui d’une obligation morale à l’égard de ses camarades morts au front. Les sentiers de la mémoire ne croisent pas ici ceux de la gloire. On le voit dans les textes de cette Ferveur du souvenir où il est bien plus question de visages que de médailles. Ce fut en tout cas le nœud existentiel de toute son œuvre.
L. L.
