David Vann s’attendrit. Aquarium, le cinquième roman de l’écrivain qui vit désormais entre l’Europe et la Nouvelle-Zélande, baigne dans une lumière inédite qui marque une nouvelle orientation après quatre romans, quatre drames familiaux d’une noirceur sauvage. Premier changement : le décor. Le natif de l’Alaska où se déroulaient deux de ses premiers livres, dont Sukkwan Island (prix Médicis étranger 2010) qui lui a valu une consécration internationale, quitte les grands espaces naturels pour une métropole, Seattle. Caitlin, 12 ans, et sa mère, Sheri, vivent dans une banlieue de la grande ville portuaire, dans des logements sociaux au-dessous d’un couloir aérien et au milieu d’une zone de béton et de parkings qui, sous la neige et le froid de décembre, paraît à première vue à peine moins inhospitalière que les îles froides de Désolations ou les vallées californiennes écrasées de soleil d’Impurs (repris dans la collection "Totem").
La mère s’épuise dans "un travail physique et sans qualification" sur les docks des conteneurs. Elle conduit une vieille Thunderbird et sort avec Steve, un informaticien qui joue de l’harmonica, un type sympa et solide. "Quel est ton poisson préféré ?" est la première question que pose à ses interlocuteurs la fillette qui passe tous ses après-midi de la semaine, après l’école, devant les bassins de l’aquarium municipal, rêvant devant les poissons tropicaux de devenir ichtyologiste. Elle fait là la connaissance d’un vieil homme qui s’avère être son grand-père maternel. Mais l’irruption de ce grand-père inconnu réveille un passé refoulé et déclenche la fureur de la mère qui non seulement ne veut pas que son géniteur revienne dans leur vie mais qui se sent trahie par sa propre fille désireuse de réconcilier tout le monde. On reconnaît bien sûr les thèmes chers à David Vann - la famille abîmée, le huis clos parent-enfant asphyxiant -, mais ce qui est nouveau, c’est l’amour simple et sécurisant qui lie la mère et la fille au début du récit raconté par Caitlin, vingt ans plus tard.
Comment pardonner ce que l’on juge impardonnable ? Comment dominer la haine et le désir de vengeance ? Usant parfois de métaphores un peu appuyées, de parallèles systématiques entre la vie des poissons et celle des hommes, David Vann observe un processus de rédemption porté par la détermination de la jeune narratrice qui s’acharne à tenter de réparer les dégâts irréversibles du passé pour se reconstruire une famille. Mais si cette fois-ci l’issue n’est pas fatale, l’expérience reste brutale et Aquarium réserve encore quelques scènes terribles comme lorsque la mère tente de faire comprendre la violence de ce qu’elle a vécu adolescente en l’infligeant à sa fille, dans un jeu de rôle cruel. Et il faut bien dire que David Vann n’est jamais meilleur que dans ces moments d’exaspération passionnelle, au cœur de la crise et au paroxysme de la confrontation.
Véronique Rossignol